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Le drame de la Saint-Barthélémy a plus d’importance encore. M. de Rémusat l’a composé au temps même où M. Vitet écrivait avec tant de verve les scènes de la Ligue. Il cherchait d’abord l’effet théâtral; mais, dit-il dans un avertissement qu’il a joint au drame, « en avançant j’ai changé de but et rabattu de mes prétentions. En approfondissant ce sujet et remontant aux sources, je me suis senti de plus en plus captivé par l’étude des mœurs, des opinions, des caractères, par la recherche du secret des événemens, et il en est résulté, je le crains, une composition plus historique que dramatique. » Ce n’en est pas moins une œuvre fortement conçue, habilement exécutée, et où ne manque pas l’effet théâtral sacrifié par l’auteur. Ce sont par exemple de très belles scènes que celle où Coligny blessé tient conseil avec ses amis et quelques ministres de sa religion sur le parti qu’il doit prendre, et surtout celle où la reine Catherine, le roi, le duc d’Anjou et les principaux conjurés, réunis au Louvre quelques instans avant l’heure du massacre projeté, passent de l’espoir à la crainte, de la confiance au découragement, selon les bruits qui leur parviennent; mais la partie la plus remarquable du drame, c’est sans contredit la peinture des caractères : Coligny, simple, intrépide; le duc de Nemours, méchant et lâche; le garde des sceaux Birague, formaliste et doucement impitoyable; Montgommery et Tavannes, l’un protestant, l’autre catholique, résolument contraires à toute transaction et brûlant de prendre les armes; le comte de Retz et le baron de Sauves, ministres complaisans, empressés à plaire; le duc de Guise, résolu, ardent, présomptueux; le roi Charles IX enfin, âme basse, esprit débile, tremblant devant Coligny et devant sa mère, incertain jusqu’au dernier moment, entraîné enfin par l’amour-propre royal, puis enivré par la vue du sang et abattant, à coups d’arquebuse, de sa propre main, les protestans qui cherchent à se sauver. L’action sans doute marche trop lentement pour que la pièce puisse être représentée; mais, imprimée, elle n’aurait certainement pas moins de succès que les scènes de la Ligue.

Plusieurs années s’étaient écoulées, et le gouvernement était changé quand le désir vint à M. de Rémusat de renouveler cette tentative avec un point de départ philosophique. Il se demanda « s’il n’y aurait pas moyen de concevoir un ouvrage où la puissance de l’esprit, devenue supérieure à celle du caractère, serait mise en présence des plus fortes réalités du monde social, des épreuves de la destinée, des passions même de l’âme. » La lutte de l’esprit tout seul avec la vie tout entière lui paraissait intéressante à décrire, et il cherchait dans quel temps, sur quelle scène, par quels personnages il serait bon de la représenter quand un hasard lui fit voir sur l’affiche d’un théâtre le nom d’Héloïse, suivi du nom d’Abélard.