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M. de Rémusat, fort dégoûté de la politique, était revenu avec une nouvelle ardeur à ses études philosophiques et littéraires, et en 1842 il publiait, sous le titre d’Essais de philosophie, deux volumes où il avait réuni divers essais écrits par lui à diverses époques. Il ne se dissimulait pas que depuis quelques années la philosophie était l’objet de l’indifférence publique, mais il démontrait, dans une forte introduction, que, volontairement ou involontairement, elle se mêlait à toutes nos pensées et à toutes nos actions. On avait beau faire, la notion du droit était au fond de tous les esprits, et, disait-il, « je n’ai pas ouï parler d’une nation qui eût gravé au frontispice de sa constitution la déclaration des intérêts de l’homme. De toutes parts on parle de droits ; ce sont des droits qu’on réclame, et, pour les établir, c’est l’éternelle raison qu’on invoque. » Puis il montrait que, dans un temps surtout de découragement et de scepticisme, la philosophie était nécessaire « pour rouvrir cette région élevée où la vérité est stable, où se réconcilient la théorie et l’expérience, la nouveauté et la durée, la spéculation et la réalité. »

M. de Rémusat appartenait à la grande école spiritualiste et rationnelle que M. Royer-Collard avait inaugurée au commencement de ce siècle, et dont M. Cousin et M. Jouffroy, ses deux amis, étaient les maîtres principaux ; mais il y portait les caractères propres de son esprit, une curiosité impartiale et le besoin d’appuyer les vieilles vérités sur des raisons nouvelles. De là surtout le grand intérêt qui s’attache à ses études sur Descartes, sur Reid, sur Kant, sur M. de Tracy, sur Broussais, sur l’esprit et sur la matière. Même à propos des solutions qu’il accepte, M. de Rémusat a des objections à présenter, des réserves à faire, des amendemens à proposer, des aperçus nouveaux à produire. De plus compétens ont montré ici même quelle originalité il a toujours apportée dans ses recherches philosophiques, sans avoir la prétention d’être un chef d’école, et quels services il a rendus à la science. Il reconnaissait que des forces aveugles peuvent, à la rigueur, expliquer le mécanisme de l’univers ; mais elles ne sauraient rendre compte de la variété régulière et de l’harmonie constante des êtres. Il fallait donc découvrir au-delà des forces aveugles une force intelligente. Telle était la pensée dominante de M. de Rémusat, et c’est, il l’a dit lui-même, au sensualisme et au scepticisme qu’il voulait faire la guerre en publiant ces études ; jamais le moment ne fut plus opportun. Ne voyait-on pas croître et s’étendre presque sans résistance l’incrédulité morale et philosophique, et se matérialiser une société engourdie? « Toute idée, disait-il, est désormais suspecte; tout intérêt se croit respectable à titre seulement d’intérêt, et se proclame ingénument supérieur à toute opinion. Les égaremens de la pensée et de la parole