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homogènes s’était formée cette association, qui n’a pas été sans éclat. Elle se composait, à l’origine, de trois groupes différens : d’anciens élèves de l’École normale, professeurs destitués pour la plupart, d’écrivains politiques et de journalistes venus de divers points de la France, enfin de jeunes gens appartenant pour le plus grand nombre aux classes élevées par la révolution et l’empire aux fonctions publiques, mais qui avaient su se défendre des pièges et des séductions du pouvoir. C’est dans ce dernier groupe qu’il se range lui-même, et avec lui MM. Duchâtel, Vitet, Duvergier de Hauranne. A la direction de l’École normale appartenaient, outre M. Dubois, MM. Jouffroy, Damiron, Trognon, Patin, Farcy, et se rattachaient MM. Ampère, Lerminier, Magnin, et un peu plus tard M. Sainte-Beuve. « Nous formâmes ainsi, ajoute M. de Rémusat, un faisceau de critiques qui, je puis le dire sans témérité, exerça dans la philosophie, la littérature et la politique une véritable influence pendant les cinq dernières années de la restauration. »

Ce qu’il ne dit pas et ce qu’il ne pouvait pas dire, c’est la place qu’il tint dans notre association. La première fois que je le vis, c’était à la fin de l’année 1824, dans le salon de M. Delécluze, qui recevait le dimanche matin un grand nombre de jeunes artistes et de jeunes littérateurs. Je ne puis rendre l’impression que fit sur moi cet esprit si ferme et si fin, cette intelligence à laquelle aucun sujet ne semblait étranger. M. de Rémusat n’était pas seulement un écrivain, c’était un causeur incomparable, et dans ses conversations comme dans ses écrits il savait unir la grâce de la forme à la solidité du fond. S’il parlait de choses légères, une réflexion sérieuse ramenait de temps en temps l’esprit vers de plus graves pensées. En revanche, il avait l’art d’animer une dissertation savante par une observation piquante, par un trait spirituel, par une fine raillerie, quelquefois même par un mot sanglant. Et au milieu des plus vives controverses, la justesse de son esprit le préservait de tous les excès. Ainsi quand mon ardeur contre le système dramatique imposé par la tradition à notre théâtre m’entraînait à l’attaquer avec trop d’âpreté, M. de Rémusat me conseillait d’être plus modéré et faisait la part du bien et du mal. Par cette impartialité pleine de bienveillance, il avait acquis une grande autorité parmi ses collaborateurs, et son opinion était presque toujours prépondérante. Néanmoins, dans les premiers temps du Globe, il laissait volontiers à MM. Jouffroy et Damiron les sciences philosophiques, à M. Duchâtel l’économie politique, à M. Vitet les beaux-arts, et il se renfermait presque exclusivement dans la littérature proprement dite. C’est ainsi qu’au commencement de l’année 1825 il publia, sous ce titre : De l’état de la poésie française, une vive et spirituelle critique de la plupart des poètes modernes qui, au lieu de chercher l’inspiration