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combattans. Il considérait que sans se résigner à l’aveuglement de l’esprit de secte, à la servitude de l’esprit de parti, chacun était tenu d’avoir une opinion et de la professer publiquement, sans égard pour les injures de la malveillance, pour le blâme des indifférens, pour les anxiétés de l’amitié timide. « De quel prix, disait-il, serait la vie, avec les passions qui la corrompent et les chagrins qui la désolent, de quel intérêt serait la société, que l’erreur égare et que la force ravage, sans le besoin de chercher la vérité et le devoir de la dire? De quoi serviraient à l’homme ces notions ineffaçables, qu’il trouve en lui-même, de son origine et de sa fin, si elles ne donnaient à sa destinée le caractère d’une mission? » Ce n’est point là le langage d’un simple curieux, ni même d’un pur philosophe, et la sagacité précoce de ce jeune et courageux esprit n’avait rien de commun avec la hautaine indifférence que tant de gens aujourd’hui prennent pour le dernier mot de la sagesse. Le noble souci des devoirs que la liberté impose et de la puissance qu’elle communique, M. de Rémusat le portait dans tous les sujets qu’il lui arrivait de traiter. Son libéralisme éclairait sa critique et faisait le fond de toutes ses opinions. Un jour, il établissait dans un article sur la politique extérieure que dans l’état de l’Europe toutes les guerres étaient des guerres civiles entre les partis plutôt que entre les nations, et il prédisait que la sainte-alliance serait vaincue par la révolution espagnole. C’était une erreur; mais elle était alors partagée par presque tout le parti libéral. Un autre jour, dans le même recueil, il célébrait l’alliance féconde de l’industrie et de la liberté. Puis comparant le théâtre de Shakspeare à notre théâtre national, il montrait qu’un tel théâtre ne pouvait naître que chez un peuple où la vie politique était universelle. En France au contraire, avant la révolution, on finissait par oublier qu’il y eût une autre société que la bonne compagnie, et c’est ainsi que s’expliquait la solennité de nos formes théâtrales.

Quand M. de Rémusat écrivait dans les Tablettes, M. de Villèle était ministre, et son père avait cessé d’être préfet. Il n’avait plus de ménagemens à garder, et il pouvait, sans être accusé de compromettre sa famille, dire ce qu’il pensait sur tout le monde et sur toutes choses. Personne ne put donc s’étonner de le voir, au moment des élections de 1824, secrétaire du comité général de la gauche et écrivant dans les journaux de nombreux articles en faveur des candidats de l’opposition. On sait que le parti libéral sortit de ces élections plus que vaincu, presque anéanti. Les Tablettes avaient cessé d’exister, et le champ de bataille manquait à M. de Rémusat. Il en trouva un nouveau dans le Globe, qui venait de se fonder par le concours de MM. Dubois et Pierre Leroux. Il a dit lui-même, dans un article sur M. Jouffroy, de quels élémens peu