Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 12.djvu/327

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’était un singulier phénomène que ce jeune homme, âgé de vingt et un ans à peine, élevé dans une société aristocratique, bien vu des dames du monde, et qui répandait de pareilles idées en pleine restauration, au moment de la lutte la plus vive entre l’ancien régime et la révolution! M. de Rémusat ne niait pas d’ailleurs que de grandes fautes n’eussent été commises de part et d’autre, et, bien loin d’amnistier la terreur, il lui reprochait d’avoir détaché beaucoup de Français de la cause de la révolution. « Le malheur, dit-il, en développant quelques émotions honorables et généreuses, avait brisé les âmes. Les excès de nos années sinistres avaient pu ranimer les sentimens de la justice et de l’humanité; mais ils avaient intimidé la volonté, humilié la raison. On avait rêvé de se croire fait pour se gouverner soi-même... On s’était repris d’un goût légitime pour la vie paisible et régulière, pour les affections de famille, pour les vertus privées qui paraissaient les seules solides depuis que les vertus publiques avaient mal tenu leurs promesses. C’est de ce temps que date l’existence d’une classe d’hommes fort nombreuse, les honnêtes gens mauvais citoyens. »

Cette classe d’hommes, dépourvue de tout sentiment patriotique comme de toute idée libérale et uniquement préoccupée de l’ordre matériel, a survécu depuis quatre-vingts ans à tous les gouvernemens, et M. de Rémusat l’a retrouvée plus d’une fois dans le cours de sa vie. C’est elle dont l’indifférence a encouragé la restauration au coup d’état qui l’a perdue. C’est elle qui, sous le gouvernement du roi Louis-Philippe, a provoqué la révolution en s’opposant à toute réforme; c’est elle qui a battu des mains quand le président de la république a usurpé le pouvoir, au mépris des lois et de ses sermens; c’est elle encore qui plus récemment, au lieu d’aider MM. Thiers et de Rémusat à constituer un gouvernement libre et modéré, les a sacrifiés à de vaines terreurs et à de folles répugnances. En la qualifiant comme il l’a fait en 1818, M. de Rémusat semblait deviner d’avance quelle serait son action sur les destinées de la France, pendant plus d’un demi-siècle.

Cependant à la fin de 1818 un ministère libéral, le ministère Dessoles, s’était constitué avec l’appui des chefs du parti doctrinaire, M. Royer-Collard, M. de Broglie, M. Guizot. Le succès de son article appelait naturellement M. de Rémusat à prendre part à leurs travaux, et pendant l’année 1819 il écrivit plusieurs fois dans les journaux ministériels. Il écrivit même une brochure sur la liberté de la presse, qui fut fort remarquée et dans laquelle, après avoir montré que cette liberté était née de la liberté de penser, sous l’ancien régime, il établissait avec une grande fermeté quelles en devaient être les conditions sous un gouvernement libre ; quelques