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qui connaissent de longue date ces sortes de renflemens métallifères, ces amas énormes de minerai d’argent tout à coup rencontrés, les appellent des bonanzas.

La mise en valeur des mines d’argent, plus encore que celle des mines d’or, a de tout temps tenté les banquiers, qui non-seulement font des avances aux mineurs, mais encore s’intéressent directement dans la poursuite de ces exploitations. Ils s’imaginent qu’il y a là des bénéfices plus certains que ceux du change ou de l’escompte, et mille fois plus fructueux. Quelques-uns y réussissent, et souvent au-delà de toute espérance; beaucoup y perdent, et c’est le cas le plus commun. Les banquiers de New-York, de Boston, de San-Francisco, en ont fait les premiers la triste épreuve. A lui seul, le Colorado a occasionné plus d’une débâcle financière. En Europe, les hommes d’affaires les plus madrés d’Angleterre ou de Hollande s’y sont aussi laissé prendre. Ceux qui ont conclu, il y a quelques années, à Londres, l’achat de la trop célèbre mine Emma, dans l’Utah, au prix de 1 million de livres sterling ou 25 millions de francs, les banquiers d’Amsterdam qui ont acheté à un prix non moins fou les mines de Caribou dans le Colorado, n’ont certes pas eu lieu, au moins les premiers, de se féliciter de leur marché de dupes.

La mise en action de la mine Emma est citée à New-York comme un des plus jolis tours de Yankee que frère Jonathan ait joués à son cousin John Bull. Le minerai de ce filon fut d’abord envoyé aux usines de Swansea, dans le pays de Galles, qui traitent le minerai d’argent. Il y rendit 600 francs par tonne. La moitié de la mine fut alors offerte par l’un des exploitans pour 15,000 francs, et ne trouva pas d’acquéreur, bien que la veine se montrât de plus en plus riche. Quelques mois après, en mai 1870, un banquier de la ville du Lac-Salé payait 150,000 francs pour un sixième d’intérêt dans l’Emma. L’année suivante, la moitié de la mine était vendue 3,750,000 francs à des capitalistes de New-York, et enfin au commencement de 1872 toute la mine était placée sur le marché de Londres au capital de 25 millions de francs ou 1 million de livres sterling, dont la moitié était immédiatement souscrite et l’autre affectée aux vendeurs. Dès le printemps de la même année, la mine était envahie par les eaux, entièrement inondée, et l’on dit que depuis le minerai est de plus en plus rare et pauvre.

Toute découverte, toute exploitation de mine, est par instans la cause de fortunes inespérées qui troublent toutes les cervelles, et quelquefois tout d’abord celle de l’heureux gagnant. C’est une loterie et des plus dangereuses. Un pauvre ouvrier mineur met par hasard la main sur une veine riche; comme le découvreur est propriétaire