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par supplanter les membres supérieurs, et l’humanité reculera vers la barbarie. Il y a lieu d’aviser, s’écrie M. Spencer; il faut modifier les arrangemens sociaux de manière qu’au rebours de ce qu’ils font aujourd’hui, ils favorisent à l’avenir la multiplication des individus les mieux doués et s’opposent à la multiplication des autres.

Que de matières délicates à traiter, que de questions difficiles à résoudre pour les législateurs de l’avenir! Faut-il s’étonner si, excité par l’exemple des maîtres de la doctrine, un sectateur quelque peu fantaisiste de l’évolution[1] réclame la suppression du mariage comme attentatoire à la liberté individuelle et au progrès de l’espèce, soit parce que l’union a été contractée par intérêt et sans amour, soit parce que l’amour est inconstant, dans le mariage comme ailleurs, et dans ce cas, quand l’harmonie est rompue, on a non-seulement le droit, mais le devoir social de chercher un amour nouveau. Ainsi le veut la loi de la sélection sexuelle, qui n’est qu’une des formes de la sélection générale, seul guide, seul agent du progrès.

Dans toutes ces théories, on remarquera qu’il n’est jamais question que de l’amélioration du bien-être de l’humanité. C’est le mot qui revient à chaque instant sous la plume de M. Darwin, et, si l’on regarde de près dans la pensée obscure et subtile de M. Spencer, on verra aussi que c’est l’idée centrale de tout son système. Ce sont les lois de la vie, bien comprises et vigoureusement appliquées, qui doivent régénérer le monde. Quand le principe de la sélection régnera dans nos codes et dans nos mœurs, sans entraves, sans opposition occulte ou déclarée, la multitude « des faibles de corps, des insoucians et des sots » disparaîtra peu à peu, et nos descendans, s’ils sont parmi les élus, auront leurs yeux réjouis par la vue de cette humanité florissante en beaux corps, en vigoureuses santés, en forces musculaires et intellectuelles, toutes exclusivement tournées à l’amélioration de ce séjour terrestre et de cette vie, où doit se réaliser l’idéal ébauché, il y a plusieurs milliers de siècles, par le premier singe anthropoïde, l’idéal de l’animal selon la doctrine de l’évolution, l’homme civilisé.


III.

On ne s’étonnera pas que le spiritualisme fasse ses réserves, et les plus graves, contre les principes et les applications de cette nouvelle morale sociale; mais on devra s’étonner, si l’on y réfléchit,

  1. M. Naquet, dans son livre Religion, Famille, Propriété.