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aussi des temps troublés, des formidables incendies, de la loi de Lynch, des comités de vigilance. Le désordre un moment est à son comble. On risque dans un jeu effréné tout ce qu’on gagne, et le revolver prononce partout en dernier ressort. Jamais le mineur, inquiet, mécontent, avide, ne reste un moment en place. Les nouvelles les plus mensongères le trouvent crédule. On annonce une fois qu’un lac d’or fluide, une autre fois qu’une montagne aurifère massive, viennent d’être découverts, et il accourt naïvement pour avoir sa part de ces trésors; ainsi firent jadis les Espagnols au temps de Cortez et de Pizarre. En 1851, la Californie faillit être entièrement abandonnée pour l’Australie, où un mineur du Pacifique venait de signaler les premiers placers. En 1858, elle manqua de nouveau d’être dépeuplée à l’annonce de la découverte des champs d’or de Fraser-River, dans la Colombie-Britannique, qui furent l’occasion d’un immense exode. J’assistai l’année suivante au retour des derniers orpailleurs désabusés, et j’eus aussi l’occasion de noter l’apaisement définitif et la transformation surprenante de l’Eldorado, qui d’état purement minier devenait peu à peu agricole. Tout était réglé désormais, et la période héroïque était close.

L’étape qui suit, et qui va de 1859 à 1870, peut être regardée comme une étape de transition. Les placers, du moins les gîtes sableux superficiels, sont de plus en plus abandonnés, les mines de quartz aurifère fouillées toujours plus activement et plus profondément. Cependant la production de l’or va en diminuant d’année en année jusqu’à être réduite de moitié, et de 250 millions de francs qu’elle atteignait encore en 1859 tombe à 125 millions en 1870. En 1853, année du rendement maximum, elle avait dépassé 325 millions. Toutefois la richesse agricole du jeune état du Pacifique augmente de plus en plus, les manufactures, les usines, se fondent, et le pays produit et exporte des vins, des alcools, des céréales, des farines, des bois. En 1868, revoyant la Californie, j’ai pu constater que l’évolution qui se dessinait neuf ans auparavant était définitive, et que la production du blé à elle seule venait d’atteindre en valeur celle de l’or. La vigne avait donné 135,000 hectolitres de vin; de la tonte des troupeaux, on avait retiré 4 millions de kilogrammes de laine. En deux ans, de 1865 à 1867, la valeur de la propriété foncière avait augmenté d’un cinquième. Depuis tous ces chiffres ont été maintenus ou dépassés. Voilà bien des résultats qui compensaient une diminution dans l’extraction de l’or. Après tout, ces progrès, ces transformations, n’étaient-ils pas dus à la production continue, bien que peu à peu décroissante, du précieux métal? C’est du reste dans cette période intermédiaire de 1859 à 1870 qu’a lieu la découverte des mines d’argent du Nevada, et celle des