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il ne la revit plus qu’une fois et dans de bien autres circonstances, après de bien autres événemens qu’il ne prévoyait pas.

Franchissez les années. Un jour, à l’époque du voyage de Crimée en 1787, Catherine vogue sur le Dnieper, entourée de la pompe impériale, accompagnée de ses favoris et des ambassadeurs étrangers, avec qui elle vit presque familièrement, M. de Ségur, M. de Cobentzel, M. Fitz-Herbert, le prince de Ligne. Le roi de Pologne, Stanislas-Auguste, a demandé à la voir, et il va en effet à Kanief. Il est conduit avec tous les honneurs sur la galère impériale. On s’empresse avec curiosité autour des deux personnages pour lire sur leur visage ce qu’ils vont éprouver en se revoyant pour la première fois après plus de vingt-cinq ans ; mais l’impératrice offre sa main au roi et entre avec lui dans un cabinet, où ils restent enfermés pendant une demi-heure. Que s’est-il passé? On ne le sait. Seulement on remarque qu’au moment où les souverains reparaissent, il y a sur le front de l’impératrice, dit M. de Ségur, « un nuage d’embarras et de contrainte inaccoutumés, et dans les yeux du roi une certaine empreinte de tristesse qu’un sourire affecté ne pouvait entièrement déguiser. » C’est ce qui reste des amours d’autrefois. C’est le dernier mot des relations personnelles de Catherine et de Stanislas Poniatowski se revoyant après un quart de siècle; mais dans l’intervalle, entre 1764 et 1787, s’est déroulé ce règne, où l’élévation et la royauté de Stanislas-Auguste ont la fatale chance de se confondre avec les malheurs et le démembrement de la Pologne.

Ce n’est point assurément que ce roi élu de 1764, l’ancien amant de la plus séduisante et de la plus dangereuse des femmes, l’ami de la plus raisonnable et la plus raisonneuse de nos compatriotes, soit dénué de qualités. C’est au contraire un prince instruit, éclairé, bien intentionné, aux instincts libéraux. Malheureusement c’est aussi un prince à l’esprit plus brillant que solide, léger, fastueux, aimant le plaisir et prompt à toutes les illusions qui flattent sa vanité ou sa faiblesse. C’est peut-être un roi pour les jours heureux, ce n’est point le roi d’un pays où les divisions intérieures introduisent de toutes parts les influences étrangères, qui semble ne plus pouvoir faire un pas sans tomber dans les convulsions, qui se dévore lui-même enfin tandis que ses implacables voisins grandissent et deviennent de jour en jour plus menaçans. Ce n’est pas un roi fait pour une nation dont un des représentans les plus éminens, le prince-primat, archevêque de Gnesne, Mgr Lubienski, peut dire dans la diète de convocation : « Toutes nos délibérations ne tendent à aucune fin,... les diètes n’ont aucune issue,... nous n’avons pas assez de forces