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département dans une manifestation organisée on ne sait comment. Il fait la part des minorités sans enlever aux majorités leurs droits. Il surtout plus vrai, puisqu’il est bien certain que les électeurs qui qu’un député à nommer savent mieux ce qu’ils font. Ils connaissent leur candidat ou ils savent exactement ce qu’il représente ; ils peuvent plus aisément s’entendre, se concerter. C’est, dit-on, substituer une « lutte de personnes » à une « lutte d’opinions, » affaiblir dans son caractère politique en la morcelant, en livrant le scrutin aux influences locales. Nous ne prétendons pas qu’il n’y ait ni ni abus ; encore faut-il choisir le système qui en a le moins. Pourquoi donc le nom, les services, la considération, le talent ou la position personnelle d’un candidat ne seraient-ils pas le premier, le plus élément dans le choix des électeurs ? De médiocres importances locales peuvent passer avec le scrutin d’arrondissement, c’est possible. Est-ce que les médiocrités ne passent pas avec le scrutin de liste ? Mieux vaut encore ceux qui ont une importance locale que ceux qui n’ont d’aucune sorte, ni locale ni générale. Ne connaissez-vous pas cette légion de candidatures nomades et obscures qui se faufilent à la suite d’un nom retentissant ? Celles-ci peuvent être atteintes, nous disconvenons pas. Est-ce que des hommes d’une véritable valeur, des hommes qui représenteront sérieusement une opinion, un parti, sans collège et sans asile ? Est-ce qu’aux époques de liberté où le scrutin fractionné existait le caractère politique s’effaçait dans les élections ? N’y avait-il pas des arrondissemens toujours prêts à choisir un député pour ses idées, pour sa notoriété publique ?

Rien n’est plus aisé aujourd’hui sans doute que de s’armer contre le scrutin d’arrondissement des souvenirs de l’empire, de parler des chambellans, des candidats de l’empereur expédiés en province. D’abord nous ne sommes plus sous l’empire, il n’y a pas de chambellans ; moralement et politiquement, tout est changé, et puis, ce qui est proposé aujourd’hui n’est pas le système de 1852. Sous l’empire, les circonscriptions n’étaient qu’une création artificielle et arbitraire combinée pour la domination. Elles se composaient le plus souvent de fragmens qu’on détachait avec une habileté calculée d’arrondissemens différens qui n’avaient aucun lien entre eux, et où le gouvernement seul pouvait agir par une administration présente partout à la fois. Aujourd’hui rien de semblable. L’arrondissement, auquel on rendrait le droit de représentation,a pour ainsi dire son existence collective ; sans être bien vivace, il a sa place dans l’organisation générale, il a ses intérêts, son ensemble judiciaire, financier, administratif. Les électeurs, rapprochés dans une sphère d’action commune, ont plus de liberté dans leur choix, et après tout, ce système, dont on croit voir l’insuffisance, il n’y a pas longtemps encore que bien des républicains modérés eux-mêmes l’admettaient