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moins bonne qu’à la montée ; aux Rochers-Foudroyés nous enfonçons déjà jusqu’à mi-jambe. Nous continuons cependant notre marche assez vite, et vers trois heures nous arrivons aux Grands-Mulets. Je renvoie guides et porteurs, et je ne garde avec moi que Simond Joseph et Charlet Pierre, pour reprendre ici demain les observations que les nuages ont interrompues la veille. Nos braves compagnons de route s’éloignent rapidement, heureux de regagner leur village. Peu s’en fallut qu’ils ne le revissent jamais. Une effroyable avalanche de pierres descendue de l’Aiguille du Midi se précipita sur le glacier des Bossons au moment même où ils traversaient le néfaste couloir de Pierre-l’Échelle ; un bloc énorme faillit les écraser tous. Par bonheur, aucun d’eux ne fut atteint, et nous eûmes la joie de les retrouver le lendemain à Chamonix.

Les mesures obtenues dans la matinée du 17 août simultanément aux Grands-Mulets et à la partie inférieure du glacier des Bossons confirmèrent pleinement celles de la veille. L’air était un peu plus humide, et en même temps nous constations que l’énergie de la radiation solaire avait diminué. Puis, tenant compte de cette modification dans les données de l’expérience, nous reconnaissions nettement que la perte de chaleur due à l’absorption par l’atmosphère était beaucoup plus considérable (environ trois fois plus grande) des Grands-Mulets au pied du glacier des Bossons que de la cime du Mont-Blanc aux Grands-Mulets, bien que cette dernière station soit presqu’à égale distance de la base et du sommet de la montagne. On comprend facilement qu’il en soit ainsi, car les couches inférieures de l’air se trouvent normalement chargées d’une quantité assez notable de vapeur d’eau, qui manque au contraire presque absolument dans les régions supérieures.

Nos observations terminées, nous redescendîmes vers Chamonix. À peine avions-nous fait les premiers pas sur le glacier que la neige s’effondra. Simond Joseph disparaît dans une crevasse, des monceaux de neige et de pierres tombent derrière lui ; un fragment énorme de rocher reste suspendu au bord de l’abîme qui vient de s’ouvrir sous ses pieds ; mais l’avalanche n’a pas atteint notre brave guide, la corde le retient, et nous le voyons reparaître sain et sauf, prêt encore à risquer sa vie avec la même intrépidité et le même dévoûment. La traversée s’opéra sans autre accident. À la jonction, nous rencontrâmes M. le marquis de Turenne, qui s’offrit, avec une courtoisie parfaite, à répéter au sommet le lendemain toutes les mesures qui pourraient m’être utiles. Après avoir comparé nos baromètres, nous continuons notre route, lui vers les Grands-Mulets, moi vers Chamonix.

Deux jours plus tard, j’étais de retour à Grenoble, heureux d’avoir