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III.

Il est très rare, au dire des guides, que l’on puisse rester au sommet du Mont-Blanc aussi longtemps que nous le fîmes. J’aurais cependant désiré y continuer encore mes observations ; un léger vent du sud, qui s’éleva vers les onze heures, nous contraignit bientôt de partir, — non pas que nous eussions à concevoir des craintes sérieuses relativement à la descente, mais plusieurs d’entre nous commencèrent alors à souffrir du froid d’une façon vraiment inquiétante.

L’impression ressentie par l’organisme dans une ascension est très variable suivant les personnes. Peut-être, en appréciant les effets physiologiques qui se produisent, a-t-on exagéré quelque peu l’influence de la raréfaction de l’air, sans tenir assez compte de la fatigue énorme qui résulte de la montée même. Je serais tenté d’attribuer en effet à une lassitude extrême le pénible état de M. Lortet pendant ses deux expéditions au Mont-Blanc. Quant à moi, habitué aux courses en montagne, sans que j’eusse jamais dépassé toutefois l’altitude de 3,500 mètres, je me trouvais dans d’excellentes conditions pour apprécier les effets physiologiques de la raréfaction de l’air, car je suis encore à cet âge où l’homme peut dépenser impunément la plus grande somme de forces. Un seul phénomène me frappa, la rapidité de mon pouls. À jeun et après deux heures de repos, je comptais 110 pulsations à la minute, sur la cime du Mont-Blanc, tandis qu’à Grenoble le nombre ordinaire de mes pulsations ne dépasse pas 65 ; le pouls était d’ailleurs excellent, parfaitement plein et régulier. Toute trace de fatigue avait disparu, je n’éprouvais pas le moindre malaise, et quelques instans plus tard je déjeunai de bon appétit. Ce grand nombre de pulsations est un effet incontestable de la rareté de l’air, qui est presque moitié moins dense au sommet du Mont-Blanc qu’au niveau de la mer. Un air aussi raréfié ne peut fournir l’oxygène nécessaire à la combustion intérieure qu’à l’aide d’une circulation plus active qui ramène plus tôt le sang dans les poumons, tout en lui laissant encore le temps nécessaire pour s’oxygéner convenablement. Ce que l’on sait de la circulation normale chez les enfans ou chez les oiseaux montre effectivement que, dans certaines limites qui ne sont pas dépassées ici, la quantité d’oxygène absorbé croît en raison du nombre des pulsations ; mais j’admettrai volontiers, avec M. Lortet, qu’un pouls battant 160 ou 170 pulsations à la minute ne permet pas au sang de recevoir suffisamment l’action de l’oxygène ni d’expulser entièrement son acide carbonique. Si un mouvement aussi rapide contrarie évidemment l’oxygénation, un nombre de pulsa-