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C’est probablement à cause de cette analogie de situation, confusément sentie même à travers la lourde enveloppe des traductions, que les psaumes n’ont jamais été plus populaires qu’au sein des sociétés militantes et persécutées, comme l’était le peuple juif sous les Séleucides. La réforme leur fit à peu près partout une seconde jeunesse. Le fameux cantique de Luther : Ein feste Barg ist unser Gott, est l’écho d’un psaume. Les réformés en Suisse, en France, en Écosse, dans les Pays-Bas, puisèrent dans le psautier leurs chants favoris de consolation et de guerre. Nos huguenots surtout en firent l’usage le plus fréquent. On sait qu’ils avaient à leur disposition la traduction versifiée de Clément Marot et des mélodies, trop négligées aujourd’hui, fort admirées pourtant par les rares amateurs d’une musique religieuse grave et austère. Qu’on me permette à ce propos de rappeler un trait de notre histoire nationale, fort peu connu et tout à l’honneur des psaumes. C’était en 1589, à Arques, près de Dieppe, dans la Haute-Normandie. Celui qui représentait alors la France moderne, la France du libre esprit et de l’avenir, Henri IV, se voyait à la veille de devoir renoncer à la lutte. Contraint de lever le siège de Paris, il s’était retiré près de la mer avec sa petite armée pour, en cas de dernière défaite, pouvoir se réfugier en Angleterre. L’armée de la ligue, plus forte que la sienne, se flattait de frapper à Arques un coup décisif. C’était là un de ces instans éminemment tragiques, où les destinées d’une nation, cette nation fût-elle la France, ne semblent plus tenir qu’à un fil. Le Béarnais vaincu, c’était le triomphe incontesté de la ligue, la suprématie de l’Espagne, l’ultramontanisme tout-puissant, et la France descendant à son tour dans l’in-pace où se sont ensevelis tant de vaillans peuples émasculés par ce terrible système. Henri IV avait bien posté sa faible armée sur des hauteurs dominées par un vieux château-fort du temps de Guillaume le Conquérant, et dont les ruines imposantes existent encore. Les protestans de Dieppe et des environs l’avaient renforcée de leur mieux, mais ce n’était guère, deux fortes compagnies au plus. L’armée de Mayenne avait attaqué, et, malgré la bravoure déployée par les soldats du roi, elle avançait, les écrasant sous le poids de sa supériorité numérique. Déjà le désordre se jetait dans les rangs de l’armée royale, une compagnie de lansquenets faisait défection et passait à l’ennemi, la bataille semblait perdue, lorsque Henri s’élança vers deux sombres groupes immobiles sur les hauteurs, qui jusqu’alors n’avaient pas donné et qu’on avait placés à l’arrière-garde, peut-être avec quelque défiance de leur solidité militaire; mais il n’y avait plus à balancer. « Allons! monsieur le ministre, cria le roi au pasteur Damour, qui avait accompagné ses paroissiens,