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à une fin toute contraire. David reste toujours an grand homme, un intrépide guerrier et l’un des rares politiques qui aient occupé le trône d’Israël; mais ce n’est pas un héros de religion. Son fougueux caractère, mélange paradoxal de noblesse et de trivialité, d’indulgence et de cruauté, d’empire sur soi-même et de sensualité passionnée, de poésie et de vulgarité, ne cadre nullement avec la disposition morale qui a dicté la composition de la plupart des psaumes. La poésie qui se dégage de son histoire, légendaire ou non, est du genre héroïque et non du genre mystique. Il n’y a pas même concordance d’idées. Les psaumes sont composés au point de vue d’un monothéisme rigide, déjà très purifié, et qui ne s’accorde guère avec ce que nous savons des croyances et des tolérances de David. Nous lisons par exemple qu’il y avait dans sa demeure des idoles domestiques, des espèces de pénates, et le hardi danseur devant l’Éternel, celui qui croyait détourner le fléau de la peste en multipliant les hécatombes et conjurer la famine en faisant crucifier sept innocens, peut-il avoir chanté, comme l’ont fait les psalmistes, l’unité absolue de l’Être divin, l’absurdité des images taillées et l’inutilité des sacrifices? Plus encore, dans une des plus vives remontrances du prophète Anios, plus jeune de deux siècles que David, nous distinguons un passage qui atteste qu’au temps du prophète, si David était connu et goûté comme poète, ce n’était pas encore comme poète religieux. Le poète s’en prend surtout aux fiches voluptueux, qu’il accuse d’irriter l’Éternel par leur luxe et leur mollesse. « Vous, dit-il, qui pincez de la harpe, — vous qui inventez des chants de David, — qui buvez le vin à pleines coupes, — et qui vous parfumez des parfums les plus exquis, etc. » N’est-il pas évident que dans une pareille liaison les chants ou les airs de David font partie de ces divertissemens dont l’austère prophète se scandalise, et que jamais il n’eût parlé de la sorte, si « des chants de David » eussent de son temps signifié « des psaumes? »

Comment donc s’est formée une tradition aussi constante et aussi ancienne? Elle doit sa naissance au même cours d’idées qui a transfiguré la personne de David dans les souvenirs de son peuple. Son règne, malgré ses taches, fut le plus glorieux de l’histoire nationale. Ce fut surtout après sa mort et celle de Salomon, qui moissonna ce que David avait semé, ce fut lorsqu’on dut faire à chaque instant la pénible comparaison de l’état mesquin, humiliant ou même intolérable du peuple de Dieu et de sa brillante situation sous le sceptre du fils d’Isaï qu’il devint le héros populaire, le roi bien-aimé, en un mot un idéal national. Mais vint l’époque où religion et nation ne représentèrent plus pour le peuple juif qu’un seul et même intérêt, où ce qui était national devint par cela même religieux. C’est ainsi