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des sculpteurs, il s’est assuré qu’il n’y a là que de la pierre, du métal ou du bois, conçoit-on le mépris qui s’élève dans son âme à la vue des nigauds qui parlent avec respect et crainte à ce qui ne peut les entendre ni les voir? Remarquez de nos jours encore le sourire de dédain du paysan huguenot devant certaines exubérances de la piété catholique, — sourire parfois aperçu et qui jadis lui a coûté très cher. Chaque nation se croit aisément la première du monde, mais chez aucun peuple cette illusion n’a été plus excusable que chez les Israélites. Quelle conscience de sa supériorité intellectuelle et religieuse dans cette raillerie prolongée d’un psalmiste à l’adresse des idolâtres (psaume 115) :


« Leurs dieux sont d’or et d’argent, — fabriqués par la main des hommes. — Ils ont une bouche et ne parlent point. — Ils ont des yeux et ne voient point, — ils ont des oreilles et n’entendent point, — ils ont un nez et ne sentent point, — ils ont des mains et ne touchent point, — des pieds, et ils ne marchent point, — un gosier, et ils ne profèrent aucun son. — Ceux qui les ont faits deviendront comme eux, — tandis que toi, Israël, tu es le béni de l’Éternel. »


Pourtant cette supériorité spirituelle était loin de trouver sa sanction dans les faits temporels. C’était à chaque instant l’idolâtre, l’imbécile idolâtre, qui imposait à l’adorateur du Dieu vivant son joug intolérable. Rien n’exaspère l’animosité de l’opprimé contre l’oppresseur comme la conscience, fondée ou non, de lui être supérieur par l’esprit. Comme Antiochus connaissait mal son monde quand il s’imaginait qu’un simulacre de Jupiter olympien imposerait aux Juifs récalcitrans et contribuerait à les réconcilier avec la civilisation grecque ! C’était au contraire leur montrer celle-ci sous son jour le plus ridicule, et chez un peuple habitué à prendre fort au sérieux tout ce qui concernait la religion, le Jupiter de Phidias lui-même n’eût obtenu d’autre succès que celui du scandale. La majorité des psaumes reflète ce douloureux conflit de la conscience nationale et de la situation réelle. M. Reuss a montré que là où l’on serait tenté de voir l’expression d’une douleur personnelle, isolée, c’est presque toujours la plainte du peuple qui s’exhale sous forme individuelle. Ce serviteur persécuté de l’Éternel qui, dans une foule de psaumes, se lamente, se révolte, invoque la vengeance divine contre ses oppresseurs, les insulte et les maudit, ce n’est pas un seul homme, c’est la personnification du peuple tout entier.

D’autre part, il faut reconnaître que jamais le langage humain n’a mieux exprimé les sentimens religieux intimes de la soumission, de la confiance, du repentir, de l’espérance indestructible. Il y a, dans ces épanchemens de la piété juive, des notes d’une douceur infinie, d’une délicatesse exquise. Ce sont ces inspirations d’une religiosité