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alimenter l’enseignement religieux, et non pour l’amour de l’art, que les directeurs de la synagogue, après le retour de l’exil, réunirent ces livres auparavant dispersés. Ils ont fait un choix, guidés par des motifs qui n’avaient absolument rien de littéraire; mais dans ces livres eux-mêmes nous constatons l’existence d’une longue et riche série de poésies nationales ou populaires sans rapport direct ou même quelconque avec la religion. En Israël, comme chez tous les peuples, il y eut des chansons d’amour, de guerre ou de victoire. Des recueils de ce genre sont même cités çà et là dans les livres canoniques. Le vieil Israël eut aussi ses chants de noces, de festins et de deuil. La poésie se mêlait aux divertissemens des villages comme aux grandes épreuves de la tribu. Le soir, autour des fontaines, les pâtres et les chasseurs charmaient leurs loisirs en chantant aux sons de leurs instrumens rustiques. Les vierges de Galaad avaient leur complainte sur la pauvre fille de Jephté, victime de la féroce imprudence de son père, et les vierges de Silo formaient annuellement des chœurs. Les jeunes gens aimaient à répéter l’élégie de David, le hardi guerrier, sur la mort de son ami Jonathan. La découverte d’une source inspirait un chant de réjouissance, et le forgeron répétait en battant l’enclume les rudes accens du chant de Lémec (Gen., IV, 23-24). Parmi les amusemens en usage dans les festins, il y avait la proposition d’énigmes en vers. Enfin les murs des villes d’Israël entendirent aussi résonner le chant des courtisanes (Esaîe, XXIII, 15 et suiv.).

Il semble, et cela du reste n’a rien que de conforme à l’histoire réelle des Israélites, que plus on remonte dans le passé, moins leur poésie nationale porte l’empreinte spécifiquement religieuse. Ce fut seulement dans les derniers temps de son existence indépendante que sa foi devint l’objet absorbant des préoccupations et des enthousiasmes de ce peuple. Dans son âge héroïque, il partagea avec tous les autres le goût des aventures audacieuses, la haine implacable du voisin, l’enivrement des victoires. Le vainqueur dans ses hymnes triomphales ne se bornait pas à célébrer ses prouesses, il poursuivait de ses malédictions ou de ses railleries son ennemi vaincu ou mort. Au retour de son expédition, il était reçu par les femmes de la tribu qui venaient à sa rencontre, dansant et chantant au son du tambourin, avides de partager le butin. La plus belle était au plus vaillant, absolument comme dans la romance du beau Dunois. Dans un autre ordre de sentimens, l’idylle, la pastorale, ont aussi tenu leur place dans la vieille poésie hébraïque. Ce sont surtout ces poésies, pacifiques ou guerrières, qui ont conservé et parfois enrichi le souvenir des faits plus ou moins légendaires de l’ancienne histoire et qui ont servi de base aux récits en prose de la Genèse, des livres de Josué, des Juges et en