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état d’esprit où l’on ne sent la grandeur que dans la simplicité. Il y a sur ce point une frappante analogie entre l’esprit d’Israël et celui du calvinisme.

Ces considérations générales nous permettent de comprendre pourquoi la poésie hébraïque fut essentiellement lyrique, c’est-à-dire individuelle. L’Israélite ne composa ni drame, au sens complet du mot, ni épopée. C’est tout au plus si l’on peut signaler dans le Cantique des cantiques quelque chose qui approche du drame; en fait, ce charmant poème ne s’élève guère au-dessus de l’églogue dialoguée. Quant à l’épopée, aujourd’hui que la loi de formation des grands poèmes épiques nous est connue, il est instructif de constater que l’ancien Israël a possédé tous les élémens d’une épopée grandiose, c’est-à-dire des traditions mythiques et glorieuses, une lutte prolongée, finalement victorieuse pour l’indépendance, des héros grands batailleurs devant l’Éternel, des chants nombreux célébrant leurs exploits, leurs infortunes, leurs triomphes, — et que pourtant tout a fini par une compilation en prose vulgaire où la loupe des critiques a pu seule discerner quelques vieux fragmens poétiques, épaves de ce grand naufrage. Au contraire la lyre d’Israël n’a cessé de chanter. Les grands poètes de la nation juive, ce sont ses psalmistes et ses prophètes. Ces derniers, ceux surtout qui ont fait époque, sont des prédicateurs qui parlent en vers. L’ode, l’hymne, l’élégie, le chant guerrier ou religieux, sont les formes préférées de la poésie nationale. Le poète hébreu ne disparaît pas, comme le poète épique, derrière les événemens ou les héros qu’il chante, ni, comme le dramatiste, sous les passions et les conflits qu’il met en scène, c’est son moi qu’il épanche, ce sont ses propres sentimens, ses propres enthousiasmes, ses haines et ses amours personnelles, qui sont la matière de ses compositions. On a prétendu que les trois grandes formes de la poésie, l’épopée, le drame et le lyrisme, se rapportaient aux trois personnes du verbe : la forme épique à la troisième, il ou elle; la dramatique à la seconde, tu ou vous; la lyrique à la première, je. La poésie hébraïque est essentiellement de la première personne.

C’est pourquoi la poésie d’Israël est éminemment subjective. Le poète hébreu chante comme il sent, aussi longtemps et dans la même mesure; ne lui demandez pas de parquer ses sentimens dans un cadre déterminé par les exigences de l’oreille ou de la logique. La mélodie s’arrête court sans qu’on sache le plus souvent pourquoi elle cesse ou pourquoi on ne l’a pas terminée plus tôt. Beaucoup de chants hébreux finissent comme bien des livres allemands de notre connaissance, par un détail, un pied en l’air. C’est que le poète avait achevé ce qu’il avait à dire. Avec le sans-gêne de l’individu qui s’asservit tout ce qui peut lui être utile sans consentir