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distiques enfilés sans lien de logique ou de sentiment, et qui font penser aux litanies de temps plus modernes. Quelques-uns sont purement didactiques, d’autres présentent ce singulier mode de composition, que chaque vers ou chaque strophe suit l’ordre alphabétique en commençant par des lettres qui se succèdent comme les lettres rangées en tête des grammaires. Il est clair qu’une pareille combinaison est exclusive de tout élan poétique et n’a pu être adoptée que dans le désir de fournir des points de repère à la mémoire. Ces psaumes sont de ceux qui nous intéressent le moins, et nous les laisserons de côté, préférant nous étendre sur les chants qui se recommandent par leurs vigoureuses qualités; mais, pour pouvoir en donner une idée à peu près suffisante, il faut rappeler les origines et les caractères essentiels de l’ancienne poésie hébraïque.


II.

Un élément intellectuel d’une grande puissance a manqué aux peuples sémites et tout particulièrement aux anciens Israélites, je veux dire la faculté généralisatrice, ou, si l’on aime mieux, l’esprit philosophique. Les langues sémitiques, frappées à l’image du génie de la race, ne se prêtent pas aux expositions scientifiques ni aux déductions prolongées. La période, — cette forme du discours si naturelle au grec, au latin, au français, à toutes les langues indo-européennes développées, cet épanouissement de la pensée réglé par la logique et le goût, et qui lui permet de déployer sa richesse interne en organisant d’une manière harmonieuse pour l’oreille et pour l’esprit ses relations multiples, de façon que l’unité coordonne la diversité sans la voiler, — la période littéraire ne trouve pas dans les langues sémitiques les formes de syntaxe nécessaires à son évolution. Le discours, oratoire ou non, procède par voie de juxtaposition continue. Les idées se succèdent comme des nuées poussées par un vent régulier, conservant leurs distances, ne cherchant pas à se grouper pour faire masse ou tableau. Chacune se présente à son tour, à son rang, sans que l’écrivain ou l’orateur éprouve le besoin d’y marquer les rapports de dépendance ou de primauté. Les longues phrases en hébreu sont rarement autre chose que des énumérations. Le matériel proprement dit de la langue dénote la même impuissance. Il y a en hébreu très peu de mots composés, à supposer même qu’il y en ait. On n’y voit pas, comme dans nos langues européennes, des verbes formés par l’adjonction d’une préposition au verbe simple, qui par ce moyen multiplie indéfiniment ses applications et ses nuances. C’est la même lacune intellectuelle qui explique l’inhabileté des anciens Hébreux à fonder de grands établissemens politiques et aussi leur infériorité en fait