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sur laquelle on déplia une ombrelle d’or, et il lut : « Très puissant, très aimé et très vénéré seigneur éléphant, du nom de Fleur sacrée, daignez venir résider dans la capitale de mon empire, où un palais digne de vous est déjà préparé. Par la présente lettre royale, moi, le roi des Birmans, je vous alloue un fief qui vous appartiendra en propre, un ministre pour vous obéir, une maison de deux cents personnes, une suite de cinquante éléphans, autant de chevaux et de bœufs que nécessitera votre service, six ombrelles d’or, un corps de musique, et tous les honneurs qui sont dus à l’éléphant sacré, joie et gloire des peuples. »

On me montra le sceau royal, et, comme je restais impassible et indifférent, on dut demander à mon mahout si j’acceptais les offres du souverain. Aor répondit qu’il fallait me promettre de ne jamais me séparer de lui, et le ministre, après avoir consulté ses collègues, jura ce que j’exigeais. Alors je montrai une grande joie en caressant la lettre royale, l’ombrelle d’or et un peu le visage du ministre, qui se déclara très heureux de m’avoir satisfait.

Quoique très fatigué d’un long voyage, je témoignai que je voulais me mettre en marche pour voir ma nouvelle résidence et faire connaissance avec mon collègue et mon égal, le roi de Birmanie. Ce fut une marche triomphale tout le long du fleuve que nous remontions. Ce fleuve Iraouady était d’une beauté sans égale. Il coulait, tantôt nonchalant, tantôt rapide, entre des rochers couverts d’une végétation toute nouvelle pour moi, car nous nous avancions vers le nord, et l’air était plus frais, sinon plus pur que celui de mon pays. Tout était différent. Ce n’était plus le silence et la majesté du désert. C’était un monde de luxe et de fêtes; partout sur le fleuve des barques à la poupe élevée en forme de croissant, garnies de banderoles de soie lamée d’or, suivies de barques de pêcheurs ornées de feuillage et de fleurs. Sur le rivage, des populations riches sortaient de leurs habitations élégantes pour venir s’agenouiller sur mon passage et m’offrir des parfums. Des bandes de musiciens et de prêtres accourus de toutes les pagodes mêlaient leurs chants aux sons de l’orchestre qui me précédait.

Nous avancions à très petites journées dans la crainte de me fatiguer, et deux ou trois fois par jour on s’arrêtait pour mon bain. Le fleuve n’était pas toujours guéable sur les rives. Aor me laissait sonder avec ma trompe. Je ne voulais me risquer que sur le sable le plus fin et dans l’eau la plus pure. Une fois sûr de mon point de départ, je m’élançais dans le courant, si rapide et si profond qu’il put être, portant toujours sur mon cou le confiant Aor, qui prenait autant de plaisir que moi à cet exercice et qui, aux endroits difficiles et dangereux, ranimait mon ardeur et ma force en jouant sur sa flûte un chant de notre pays, tandis que mon cortège et la foule