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exactes prédictions de Nial et de la docilité de Hrut, suivant la saga islandaise, à lui donner raison, que Nial passait aux yeux de ses contemporains et à plus forte raison aux yeux de leur postérité, pour avoir été un de ces hommes extraordinaires, à l’esprit perçant et subtil, qu’on croyait, peu s’en faut, doués de seconde vue; il n’y avait nul effort, pour ces imaginations scandinaves du Xe et du XIe siècle, à se représenter un tel homme, maître dans la science du droit et de la procédure, comme une sorte de devin dont les paroles avaient une puissance presque magique.

On reconnaît de plus dans les récits qu’on vient de lire le formalisme habituel à ces peuples. Ce même trait se rencontre à l’origine de presque toutes les civilisations, par exemple aux premiers siècles de la Grèce et de Rome. Là aussi on emploie des formules légales, auxquelles il semble que le droit primitif suppose une sorte d’autorité surnaturelle. Le droit primitif a partout besoin de ce secours extraordinaire; partout il fait appel en même temps à la raison et à la poésie. Les sociétés du nord paraissent avoir conçu de ces conditions une idée particulière, qui s’est perpétuée dans le droit du moyen âge et qu’il est intéressant d’étudier à sa source dans les monumens scandinaves.

Il nous eût entraîné trop loin d’aborder, avec le secours de la saga de Nial et du Gragas comparés, l’étude, passablement obscure d’ailleurs, de la constitution administrative de la république islandaise; nous voulions surtout faire connaître la saga, dont l’intérêt principal consiste dans la lumière qu’elle jette sur les antiquités juridiques de toute une race destinée à jouer un grand rôle dans la formation des sociétés européennes. Nous avons cru pouvoir reconnaître, parmi ces règlemens d’une société qui ne devait rien à l’influence ou aux exemples d’une autre race ni du monde classique, les élémens d’une institution semblable au futur jury moderne; nous aurions pu noter aussi, outre le wehrgeld et la vengeance privée, la présence du duel, coutume peu louable sans doute, mais qui a cependant marqué, aux origines du moyen âge, un progrès nouveau de l’ordre sur la violence, qui s’est substituée à la force brutale, au meurtre aveugle et lâche, et qui impliquait, outre un sentiment d’honneur, la confiance dans la justice divine. Le duel avait en Islande ses lois rigoureuses; il avait lieu, lors des sessions de l’Althing, dans l’île voisine du rocher de la loi. Les prescriptions les plus détaillées en réglaient la pratique; certaines de ces prescriptions rapportées par les sagas sont toutes religieuses : on amenait par exemple près du champ-clos un bœuf, dont le vainqueur, aussitôt après le combat, devait abattre la tête. De plus les extrémités des pieux qui marquaient l’enceinte désignée étaient sculptées en forme de têtes mystérieuses, représentant des divinités, et on