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transmis aux Northmans du moyen âge, et qu’on retrouverait aujourd’hui dans certaines parties du nord.

Ouvrons de nouveau la saga; elle nous introduira dans le dédale de ces formalités un peu confuses, naïf témoignage des efforts de la société islandaise pour sortir de la barbarie. Suivons dans ses récits le cours d’une procédure criminelle, et cherchons s’il y a lieu d’y saisir quelque linéament d’institution future.

Au milieu des guerres privées qui sans cesse agitaient l’île. Nial a péri dans les flammes avec Bergthora, sa femme, et ses fils. Son gendre a échappé; résolu à poursuivre les meurtriers devant l’Althing, de concert avec ceux de ses parens qui n’ont pas succombé, il se charge pour sa part de porter plainte contre Flose, celui qui a tué de sa main Helge, fils de Nial. Il commence toutefois par transmettre son action à Mœrd, habile en droit et puissant par sa clientèle. Celui-ci dénonce la cause de la façon suivante : il convoque neuf quidr, voisins du lieu où le crime a été commis. — Ce que sont les quidr, nous tenterons de l’expliquer après les avoir vus à l’œuvre; le sens du mot n’est pas obscur, si l’on remarque qu’il vient de l’islandais kveda, prononcer ou dire, racine qu’on retrouve dans le vieil anglais he quoth, il dit. — Mœrd appelle les neuf quidr par leurs noms, et les assigne au prochain Althing, pour y déclarer si Flose a commis ou non le crime dont il l’accuse. L’Althing réuni, Mœrd se présente sur le rocher de la loi, prend des témoins et dit : « Je dénonce l’agression, prévue par la loi, que Flose, fils de Thord, a commise contre Helge, fils de Nial, et je dépose l’avis que pour ce crime il soit condamné à l’exil, devenant sans refuge, sans abri, sans secours d’aucune sorte, ses biens étant forfaits, moitié pour moi et moitié pour les habitans de la contrée de l’est. Je dénonce cette cause criminelle pour être suivie devant le tribunal auquel, suivant la loi, elle appartient. Je dénonce suivant la formule que la loi prescrit. Je dénonce pour que la poursuite ait lieu pendant cette session, et que le châtiment atteigne pleinement Flose, fils de Thord. Je dénonce la cause qui m’a été légalement transmise. » Il se tut, dit l’auteur de la saga, et, de bouche en bouche, on répéta sur le rocher de la loi que Mœrd avait bien et bravement parlé. Il reprit la parole, redit la formule, en s’adressant directement cette fois à Flose, puis il s’assit. Flose l’avait écouté attentivement; l’action était désormais introduite. — Flose, de son côté, avait transmis sa cause à un légiste habile, Eyolf. De retour sous sa tente, Flose lui demanda si, contre l’accusation ainsi posée, il trouvait quelque échappatoire. — En voici une, dit Eyolf, dont nous nous servirons à défaut d’autres moyens. Change immédiatement ta résidence; ton adversaire, s’il n’en est pas informé, se trompera de juridiction, et son action cessera d’être