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de famille ont donné naissance à d’importans procès; les agressions commises ont été l’occasion de sentences juridiques prononcées par des tribunaux. Or c’est un trait principal de l’esprit islandais et scandinave d’être volontiers processif, ami des subtilités, tout au moins des distinctions et des formules de droit. Il ne faut pas croire que cette allure des esprits soit inconciliable avec une certaine barbarie des mœurs : elles peuvent coexister quelque temps, mais en faisant prévoir le triomphe de l’ordre, de la justice et de la loi. La saga de Nial est particulièrement riche en vives lumières sur les antiquités juridiques du nord, sur les codes et les tribunaux de l’ancienne Islande, en même temps que sur une organisation politique et administrative qui était commune à cette île et aux royaumes scandinaves. Nous avons dit que Nial était habile juriste; voyons-le, lui et ses pareils, émettre de subtils avis, tantôt dans les assemblées sur les intérêts publics, tantôt et plus souvent en de fréquentes consultations sur de difficiles points de droit et de dangereux procès.


II.

Les ouvrages des annalistes islandais, tels que les Schedœ d’Are Frode et le Landnama-Bok, qui est de plusieurs auteurs, remontent jusqu’aux premiers temps de la colonisation, et nous montrent que cette société d’émigrés norvégiens se donna immédiatement des institutions calquées sans doute sur celles de la mère-patrie, mais appropriées cependant aux circonstances nouvelles et développées ensuite par un original essor. Dès la prise de possession d’un domaine, à côté de la maison du chef a été construit le temple, hof ; à côté du temple, un lieu élevé ou fortifié a été désigné pour servir de thing ou de tribunal. Tout chef de famille, ou du moins tout chef de groupe entouré de sa parenté et de sa clientèle, s’est trouvé à la fois prêtre et magistrat, investi de la triple autorité politique, civile et religieuse; mais ce pouvoir étendu était corrigé par la liberté qu’avaient les citoyens de se faire comprendre dans telle ou telle circonscription : celle-là entre toutes devenait prospère et puissante qui, bien gouvernée, attirait le plus grand nombre de colons. Un demi-siècle était à peine écoulé, et ce qu’il y avait eu d’informe dans la constitution primitive disparaissait devant un effort de centralisation qui allait remédier à l’isolement et à la dispersion des chefs. Un des colons, nommé UIfliot, après avoir de nouveau traversé l’Océan, quoique sexagénaire, pour aller délibérer avec son parent, le Norvégien Thorleif, surnommé le Sage, revint dans l’île en 928, et engagea ses compatriotes à recevoir une législation nouvelle, dont