Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 12.djvu/126

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

méandres, l’observation morale est constante, pas un caractère ne se dément. Il est vrai que cette observation morale n’est pas mise en relief par quelque procédé d’artiste; elle ressort de l’action même, et çà et là de quelques scènes retracées avec une habileté peut-être inconsciente.

La saga de Nial est un ouvrage étendu; elle comprend, dans l’édition originale, près de 300 pages in-quarto. Elle a été traduite du norrène en latin et en danois, et il y a quelques années en anglais, disions-nous. Elle reste cependant, même dans la meilleure traduction, difficile à lire; il est malaisé d’en prendre une idée générale sans en avoir achevé une assez longue étude. Essayons, cette étude une fois faite, d’en rendre compte; à la condition d’émonder beaucoup de broussailles, nous distinguerons les clairières, nous découvrirons les horizons lointains.


I.

Nous sommes à la fin du Xe siècle, en plein paganisme scandinave, car il est facile d’écarter les rares expressions chrétiennes du texte ajoutées par le rédacteur de la saga. La scène est dans cette contrée sud-ouest de l’Islande où se trouve aujourd’hui la capitale; c’est la région de l’île le moins maltraitée de la nature, celle que les colons scandinaves du IXe siècle sont venus habiter de préférence, celle où plusieurs lieux sont restés célèbres par les épisodes importans qui s’y sont accomplis. De même que les personnages désignés sont authentiques, et toutes ces aventures réelles, sauf quelques traits de superstitions légendaires, de même les noms géographiques dont ces chroniques abondent se retrouvent sur les cartes : tout concourt à démontrer que la saga de Nial est un monument digne d’une sérieuse attention, sur les données duquel peuvent s’appuyer à la fois les conclusions historiques et les observations morales.

La narration commence par deux épisodes qui sont, à vrai dire, l’introduction de la saga, l’exposition du drame dont les scènes se développeront plus tard. Les deux premiers mariages d’Halgerda et la sinistre issue de ces unions nous font connaître tout de suite la décevante figure et nous font pressentir le fatal prestige de l’héroïne, dont le troisième mariage engagera des rivalités, des haines, des procès, de tragiques désastres, matière de ces récits.

Il y avait un homme qui s’appelait Hauskuld et qui habitait à Hauskuldstad, dans le Laxardal. Son frère, nommé Hrut, habitait à Hrutstad, dans la même vallée. Il arriva qu’un jour Hauskuld réunissait des amis à une fête, et son frère était assis auprès de lui. Hauskuld avait une petite fille nommée Halgerda, qui, pendant ce