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douée encore d’une réelle énergie, s’indigna et lutta. Le nouveau culte et le pouvoir royal restèrent définitivement vainqueurs; mais beaucoup de chefs de famille, principaux représentans d’une aristocratie païenne à la fois politique et religieuse, refusèrent de se soumettre; rassemblant autour d’eux parenté et clientèle, ils quittèrent leurs domaines pour chercher au loin quelque asile inviolable. Ils s’embarquèrent, et l’île que de récentes navigations avaient découverte leur servit de refuge. Ils y établirent sans peine un gouvernement durable résumant toutes les institutions, les idées, les mœurs dont avait jusqu’alors vécu le paganisme scandinave. De même, sept siècles et demi avant l’ère chrétienne, l’antique Rome avait été un asile pour les populations italiques dont elle devait reproduire le génie, de même encore, il y a deux cent cinquante ans, le rivage oriental de l’Amérique du Nord servait d’asile aux protestans anglais, destinés à y transporter leur part de patrimoine intellectuel et moral.

Or nous avons conservé un certain nombre de livres islandais, composés après l’immigration, qui nous donnent un tableau presque complet de la nouvelle société établie dans l’île, et par conséquent aussi de la société antérieure qui avait servi de modèle. Restituons à l’aide de ces livres la civilisation Scandinave telle qu’elle était avant la conversion du nord au christianisme, et nous retrouverons sans doute quelques origines ou du moins quelques traits primitifs de notre propre civilisation. Ceux-là en conviendront sans peine qui se rappellent l’étroite parenté entre les Scandinaves et les Germains, et ne refusent pas d’apercevoir, à côté de la source romaine, la source germanique des principales sociétés modernes. L’intéressante et heureuse diversité de caractère et d’intelligence qui règne en Europe remonte, entre autres causes, à la dualité d’influence qui s’est produite au commencement du moyen âge, quand les peuples de notre continent se sont distingués et formés, — les uns sous la direction du génie classique, à la double école de la civilisation romaine ou grecque presque non interrompue et du christianisme de bonne heure accepté, — les autres sous l’inspiration de ce différent génie qu’on appellera comme on voudra, germanique, anglo-saxon, barbare, mais dont il ne faut pas contester l’existence ni l’action, puisqu’il a enfanté des lois, des institutions, disons plus, des idées et des sentimens assez profonds et vivaces pour avoir laissé jusqu’en notre temps des traces persistantes. S’il est incontestable que les mêmes idées intellectuelles, morales, politiques, religieuses même, n’ont jamais cessé d’être différemment comprises et d’être comme aperçues sous un autre angle à Londres et à Rome, en France et en Allemagne, en Hollande et en Espagne, les origines historiques expliquent en grande partie ces dissemblances,