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mélancolie à la fois âpre et savoureuse comme les fruits des sauvageons. — Cette solitude me plaît, murmure Tristan, que son goûter sylvestre a tout à fait raccommodé avec la montagne. J’aime ce paysage à la fois jeune et antique comme une belle enfant qui se réveillerait tout à coup d’un sommeil séculaire et raconterait ce qu’elle a vu à la cour de Charlemagne.

— La population, lui dis-je, est en harmonie avec le paysage. Les habitans sont restés jeunes et simples de cœur, tout en gardant leurs vieilles coutumes. Les femmes portent encore, comme il y a cent ans, la coiffure locale : le petit bonnet d’étoffe violette bordé d’une ruche de tulle noir. Les hommes sont placides, bienveillans, un peu farouches et d’une honnêteté à toute épreuve. Leurs façons réservées contrastent avec celles de leurs voisins de la montagne bourguignonne, si bruyans, si expansifs et si amoureux de bien vivre. Là-bas, dans chaque village, filles et garçons dansent tous les dimanches; ici, c’est à peine si on danse le jour de la fête patronale. Les paysans de la montagne langroise sont sobres, attachés au sol, ils ont le parler lent et le regard triste; mais au fond de cette mélancolie il y a une flamme cachée : ils sont capables d’exaltation et de dévoûmens passionnés.

— Te souviens-tu, reprend Tristan, d’une de leurs coutumes de la semaine sainte, quand les enfans vont de porte en porte quêter des œufs le jour du vendredi saint? Ils chantent une complainte amusante comme un mystère du moyen âge et qui se termine par ce couplet naïf ;

Seigneurs et dames, qui écoutez ceci,
Donnez des œufs à ces petits enfans,
Et vous irez tout droit en paradis,
Droit comme un ange auprès de Jésus-Christ.


Mais il faut entendre l’air à la fois attendri et joyeux, et surtout il faut voir la troupe des chanteurs...

— Une autre coutume charmante et dont le cérémonial discret peint bien la délicatesse de sentiment de cette population, c’est la façon dont se font les demandes en mariage. L’amoureux va, le dimanche, en habits de gala, demander la jeune fille à ses parens. Les deux jeunes gens s’approchent de la cheminée et, quelle que soit la saison, la jeune fille y allume du feu. On apprête le repas et on se met à table. Si après le dîner la jeune fille va vers l’âtre, rapproche les tisons et cherche à les ranimer, c’est qu’elle autorise le prétendu à continuer sa cour; si elle laisse le feu s’éteindre ou si elle écarte les tisons, c’est que le jeune homme lui déplaît, et il n’a plus qu’à se retirer.

— Bravo! s’écrie Tristan, parlez-moi des paysans pour trouver