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lutte intime ! Et quand chaque printemps revenait, quelle amère raillerie, quelles terribles tentations, quels troubles secrets ! Ainsi les années se sont amassées sur elles, automne sur automne, hiver sur hiver, jusqu’au jour où les cheveux blancs sont venus amenant avec eux un froid apaisement. Beaucoup de ces Niobés de la virginité ne savent pas, il est vrai, se résigner, et tournent à l’aigre dans leur saison mûre ; mais celles qui, dans cette cruelle épreuve, ont pu garder intacte leur tendresse comprimée, celles-là sont admirables. Elles atteignent la vieillesse comme ces arbres, riches de sève sous leur rude écorce, qui donnent après de longues années leurs fruits les plus savoureux et les plus parfumés.

La fille de notre hôtesse était un de ces arbres généreux, et on le sentait bien. L’âge et la résignation pieuse avaient adouci ce que le tempérament avait eu de trop âpre dans sa verte saison. La voix était douce dans son énergie, le geste était à la fois brusque et bienveillant, l’œil avait une vivacité sympathique qui rassurait et mettait à l’aise. Quand nous eûmes déjeuné : — Là, dit-elle à Tristan, maintenant vous avez campos jusqu’au soir. Promenez bien votre ami dans nos bois, mais ne manquez pas de rentrer à sept heures ; vous savez qu’il ne faut pas déranger les habitudes de maman. — Et la bonne vieille octogénaire protestait déjà, en s’écriant : — Oh ! pour une fois… mais Tristan lui coupa la parole en promettant d’être exact, et nous partîmes.

Le chemin de la forêt d’Arc grimpe en zigzag sur une hauteur qu’on nomme le Calvaire et où se trouve le chenil du château. Une longue allée de hêtres part du chenil et s’enfonce dans les bois en suivant la crête de la vallée. Ce long promenoir, à demi plongé dans une verte obscurité propice aux rendez-vous amoureux, a été, sans doute pour cette raison, surnommé par les habitans l’Allée des soupirs. La forêt bien percée, bien aménagée, n’a de remarquable que son étendue et sa solitude. Le bruit de nos pas y résonnait comme sous la voûte d’un grand couloir. Après une bonne heure de marche, nous sommes descendus vers la lisière qui domine la vallée de l’Aube. Le soleil déclinant dardait ses rayons obliques sur les bois et les prairies ; dans le calme du soir, nous distinguions le murmure frais de la cascade d’Étufs ; nous apercevions dans une brume d’or Dancevoir, célèbre par la beauté de ses filles,

Qui veut belles filles voir,
Faut venir à Dancevoir,


Aubepierre, où sont les ruines de l’abbaye de Longuay et où est né le botaniste Bulliard, Étufs, abrité sous les grands arbres de son ravin ruisselant de cascatelles aux eaux pétrifiantes, Rouvres, dont les tourelles étaient empourprées de soleil. — Connais-tu la