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de 100,000 francs pour venir en aide aux immigrés, et, voulant se rendre un compte exact de leurs besoins, elle chargea un de ses membres, M. Guynemer, ancien sous-préfet de Saverne, d’aller vérifier sur place ce qui avait été fait, ce qui restait encore à faire. C’était là une mission des plus délicates, car pour la bien remplir on devait être amené fatalement à des curiosités, à des recherches qui peut-être en haut lieu paraîtraient indiscrètes. L’administration est omnipotente en Algérie et n’admet guère de contrôle : du moins on le prétend. En ce cas particulier, elle avait tout ordonné, tout conduit ; à bien voir, il est vrai, elle n’avait eu personne pour concourir à son œuvre, d’ailleurs elle avait fait de son mieux, et il y aurait eu mauvaise grâce, après tant de peine et d’argent dépensés, à lui reprocher quelques erreurs ou quelques imperfections de détail. Cependant l’intérêt de nos malheureux compatriotes n’en exigeait pas moins qu’on étudiât de près, résolument, cette question si complexe de la colonisation. Nul mieux que M. Guynemer ne pouvait s’acquitter de ce soin ; de son passage dans l’administration, il avait gardé l’habitude des hommes et l’expérience des affaires, il connaissait à fond, comme on dit, les rouages de la machine. Sans aucun titre officiel, n’usant du bon vouloir des autorités locales que dans la mesure qui lui permettait de conserver toute sa liberté d’action et de jugement, il passa près de trois mois en Algérie, parcourut l’une après l’autre les trois provinces d’Oran, d’Alger et de Constantine, visita tous les villages où se trouvent des familles d’Alsace-Lorraine, et à son retour rédigea pour la société un rapport détaillé où étaient consignées, avec le récit de son voyage, ses observations et les résultats pratiques qu’on en pouvait tirer.

Or, au même moment, venait d’être instituée près le ministère de l’intérieur la commission des Alsaciens-Lorrains, présidée par M. Wolowski. On n’est pas sans se rappeler la « souscription des dames de France » et l’audacieuse tentative qui devait, sans obérer l’état et rien que par l’initiative privée, obtenir la libération du territoire. Quoi qu’il en soit, plusieurs millions de francs avaient été réunis en quelques jours ; demeurés sans emploi par suite du succès de l’emprunt des trois milliards, ils étaient toujours déposés au trésor ; la chambre décida que toutes les sommes qui après un certain délai n’auraient pas été réclamées par les souscripteurs seraient, sous la surveillance d’une commission, affectées à l’assistance des Alsaciens-Lorrains. Aussitôt nommée, la commission se subdivisa elle-même en trois comités : comité de l’instruction, comité des secours directs aux familles, enfin comité de colonisation, spécialement chargé d’améliorer le sort des Alsaciens-Lorrains émigrés en Algérie. Un certain nombre des membres de la société de protection furent appelés à faire partie de la commission