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devint premier ministre et que s’ouvrit la session de 1770. Chatam, soutenu par lord Camden, protesta dans la chambre des lords avec sa vigueur accoutumée contre l’admission du colonel Luttrell. « Le caractère et les actes de M. Wilkes, disait-il, ont été mis en cause fort mal à propos, non-seulement ici, mais encore dans la chambre des communes, où la cause s’est jugée. Pour les uns, c’est un grand patriote ; pour d’autres, c’est un vil incendiaire. Quant à moi, je ne le considère que comme un citoyen anglais à qui la loi confère certains droits que la loi seule lui peut enlever. Les vices de sa vie privée ne me touchent pas plus que les mérites de sa vie publique. Fût-il le dernier des hommes, je défends en son nom la sécurité de tous. Le ciel nous préserve, messieurs, que l’usage s’établisse en ce pays de mesurer les droits civils d’un citoyen par la moralité de son caractère. » Ne sont-ce pas là de nobles paroles qui justifient l’attention que nous donnons aujourd’hui à la vie d’un simple libelliste ? L’éloquence de Chatam n’eut pas le pouvoir de convaincre les lords ; une immense majorité se prononça contre la motion qu’il avait proposée. Les réclamations ne furent pas moins vives dans la chambre des communes ; elles n’eurent pas meilleur succès. En dehors du parlement, les esprits étaient également agités. Ce fut alors, paraît-il, que s’établit la coutume de tenir des meetings pour discuter en public la question du jour ; on signait des pétitions pour demander au roi la dissolution d’une chambre qui s’était rendue indigne de siéger en expulsant l’un de ses membres sans motifs suffisans. Le parti de la cour n’était point de cet avis. Au contraire l’expulsion de Wilkes avait été pour George III et pour son entourage un sujet de grande satisfaction.

Cependant quelques-unes de ces protestations se présentaient avec un apparat dont le gouvernement devait être fort embarrassé. Ainsi le corps municipal de Londres, réuni dans la salle du conseil, décida que des remontrances seraient adressées au roi. En ce temps, la Cité de Londres n’était pas comme aujourd’hui un simple lieu de rendez-vous où l’on vient quelques heures de la matinée pour expédier ses affaires, que l’on quitte le plus vite possible pour achever sa journée dans une maison confortable de la banlieue. Les gros négocians, les principaux banquiers y demeuraient ; ils y avaient leurs affections, leurs habitudes, leur home en un mot. Faire partie de la cour des aldermen était un honneur envié que ne dédaignaient ni les plus riches, ni les plus intelligens. Parfois quelques représentans de cette vaillante bourgeoisie entraient à la chambre des communes en achetant un bourg pourri ; mais l’esprit général du parlement leur était hostile. D’ailleurs ils étaient toujours mal vus à la cour. En somme, la Cité était un foyer de