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satisfaction par des cris, la foule obligea les habitans de Londres à illuminer leurs maisons. Le fameux numéro 45 redevint à la mode, comme cinq années auparavant, lors du procès du North-Briton. Un jour, le comte de Seilern, ambassadeur d’Autriche, homme grave et cérémonieux, se promenait en voiture. On le fit descendre, et l’on inscrivit le fatidique numéro à la craie sur la semelle de ses chaussures. L’ambassadeur fit mine de se fâcher ; les ministres ne purent s’empêcher de rire de cette inconvenance, qu’ils n’avaient du reste aucun moyen de punir. Les oisifs multipliaient, divisaient, décomposaient le chiffre 45 de toutes les manières possibles. L’un d’eux eut le talent de découvrir que c’était précisément le nombre des bêtes énumérées dans l’Apocalypse. Que faire contre un tel engouement ? Dans l’entourage de George III, les courtisans de bon sens soutenaient qu’il valait mieux apaiser la foule en pardonnant à Wilkes. C’eût été le plus sage ; mais le roi était entêté, on ne put rien obtenir de lui. Lord Mansfield, qui avait jadis dirigé les poursuites contre le pamphlétaire et qui était un légiste consciencieux, avait contribué à faire rapporter la déclaration de mise hors la loi. Wilkes eut donc à comparaître devant la cour du banc du roi pour les deux délits dont il avait été accusé, c’est-à-dire la publication du North-Briton et celle du scandaleux écrit intitulé l’Essai sur la femme. Il se défendit avec modération et simplicité, rejetant avec raison le scandale de ce dernier libelle sur ceux qui en avaient soustrait un exemplaire par des moyens inavouables et qui l’avaient produit en pleine chambre des lords. Néanmoins il fut condamné à une grosse amende et à vingt-deux mois de prison. Pour la première fois en pareille circonstance, on lui faisait grâce du pilori, par crainte sans doute que cette exposition publique ne fût le prétexte d’une manifestation populaire en faveur du coupable.

Il était cependant député. Aussi le jour de l’ouverture du parlement, comme il était déjà sous les verrous, la foule l’attendait-elle à la sortie de la prison. Le gouvernement, qui n’avait nulle envie de le relâcher, avait pris des précautions. Un régiment de highlanders était sous les armes à peu de distance. Dès qu’il y eut tumulte, le magistrat du district fit avancer la troupe, qui fit feu sur la multitude et blessa quelques personnes. Un soldat, poursuivant dans une maison l’un des agitateurs, atteignit d’un coup de baïonnette un autre individu fort étranger à tout ce qui se passait. Celui-ci intenta tout de suite une action en justice contre le magistrat qui avait commandé le feu et contre le soldat par lequel il avait été blessé. Le premier fut acquitté, le second fut congédié avec une pension en guise de récompense. Puis le ministre de la guerre complimenta les troupes sur leur conduite en cette circonstance.