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honneurs lui arrivèrent comme à tout autre membre du parlement. Grand-shérif du comté de Buckingham, colonel de la milice, il prenait place dans la société. L’influence que cette situation lui donnait, il l’employait de bonne grâce à obliger les gens de lettres, tels que Smollett et Johnson, dont les tendances politiques lui étaient pourtant hostiles. Puis l’ambition lui vint d’obtenir quelqu’un de ces grands emplois où les hommes d’état rétablissaient alors leur fortune quand elle avait été compromise par les dépenses d’une candidature trop laborieuse. On le voit postuler l’ambassade de Constantinople, qui se trouvait vacante, le gouvernement-général du Canada que la prise de Montréal venait de livrer en entier aux Anglais. Peut-être, avec un peu de patience, fût-il parvenu comme un autre ; mais on en était à l’année 1761. Pitt succombait, lord Bute prenait la direction des affaires. Pour obtenir désormais quelque chose, il fallait être tory ou Écossais. Wilkes n’était ni l’un ni l’autre ; il se trouva lancé dans l’opposition et la fit à sa manière, c’est-à-dire avec une âcreté qui, pour désagréable qu’elle fût aux autorités du jour, devait encore plus lui être nuisible à lui-même. S’il agit par ambition, ce que soutiennent ses détracteurs, on doit convenir qu’il entendait fort mal ses intérêts.

Il existait alors une presse officielle subventionnée pour soutenir les idées que la couronne voulait faire prévaloir. Smollett, plus connu comme romancier que comme journaliste, rédigeait le Briton, la plus marquante des feuilles périodiques dévouées au ministère. Wilkes créa le North-Briton pour soutenir une politique tout opposée. Moins correct qu’Addison, moins incisif que Junius, dont les lettres anonymes produisaient grande sensation depuis trois ans déjà, Wilkes savait écrire et se faire lire. Peut-être les petits pamphlets qu’il livrait chaque semaine au public n’auraient-ils aucun attrait pour les lecteurs d’aujourd’hui. Les fragmens qu’en citent ses biographes paraissent en somme bien anodins. Le principal mérite de ces écrits était, dit-on, la lucidité merveilleuse que l’auteur savait répandre sur les questions du jour, ne se cachant pour cela derrière aucune réticence, appelant les choses par leur nom, ou, s’il y fallait quelque détour, sachant rendre les allusions transparentes. Jusqu’alors le roi et les ministres n’étaient jamais désignés en propres termes dans les écrits de la presse périodique ; le lecteur avait à les deviner sous des initiales ou des sobriquets de convention. Wilkes mit les noms en toutes lettres ; mais il restait lui-même dans l’ombre. Non-seulement il ne signait pas, ses pamphlets ne portaient même aucun nom d’imprimeur, et cependant personne n’ignorait quel en était l’auteur, ni de quelle officine ils sortaient.

Le North-Briton avait beau jeu d’attaquer le ministère de lord