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en continuant d’être derrière le rideau le conseiller intime du jeune roi ? On a cru longtemps en effet que lord Bute resta, même après sa retraite, l’inspirateur de la politique royale. Les ministres qui lui succédèrent se plaignaient de l’influence occulte que chacun semblait lui attribuer. La correspondance de George III, que l’on a publiée en ces derniers temps, montre au contraire que lord Bute resta vraiment à l’écart, sauf en quelques occasions, après avoir quitté le ministère. Il paraîtrait même que George III l’évitait plus qu’il ne le recherchait. Ce souverain était honnête dans le fond, et d’une conduite irréprochable dans sa vie privée. On croit qu’il se sentit blessé dans son honneur en apprenant par des indiscrétions les bruits fâcheux auxquels donnaient lieu de trop fréquens rapports entre lord Bute et sa mère. Si ceci est vrai, et c’est assez d’accord avec les sentimens qu’il manifesta toute sa vie, c’est assez à son avantage pour que l’histoire ne dédaigne pas d’en faire mention.

Lord Bute fut remplacé par Grenville. Celui-ci était beau-frère de Pitt, dont il avait été jusqu’alors l’ami personnel et l’associé politique. Orateur ennuyeux, administrateur minutieux et formaliste, il avait, comme beaucoup d’hommes médiocres, la prétention de mériter le premier rang. On a dit que le ministère qu’il présida fut le plus désastreux qu’ait eu l’Angleterre au XVIIIe siècle. Et au fait, s’il abandonnait le parti whig, dont il avait été, grâce à l’amitié de Pitt, l’un des hommes importans, ce ne pouvait être que pour seconder les idées favorites du roi. C’est à lui que Wilkes fut redevable de sa singulière popularité. Il est temps d’introduire ce personnage, qui allait avec une singulière obstination tenir tête à George III, alors que des nobles et des députés influens, tous héritiers de la révolution, s’inclinaient avec humilité devant la volonté du souverain.

John Wilkes était fils d’un honnête négociant qui avait amassé une assez belle fortune. Après avoir reçu la première instruction dans une école anglaise, il partit pour l’université de Leyde, où s’achevèrent ses études. C’était assez l’usage à cette époque que les enfans élevés dans des idées libérales allassent compléter leur éducation dans le pays de Guillaume III. D’ailleurs Oxford et Cambridge n’étaient ouverts qu’aux disciples de l’église anglicane, et la famille Wilkes était dissidente. A son retour en Angleterre, il avait vingt-deux ans, on le maria avec une riche héritière qui avait dix ans de plus que lui. S’il brillait déjà par l’esprit, en compensation il était laid au-delà du possible, si bien que les caricaturistes, lorsqu’ils s’occupèrent de lui, ne réussirent jamais à le représenter sous des traits plus difformes que la réalité. La femme qu’il épousait était dévote, égoïste ; il était prodigue et libertin. Cette union