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notre attention par une lutte acharnée entre l’influence du parlement et la prérogative royale. C’est le dernier acte de la révolution de 1688, le dernier effort des partisans d’une monarchie absolue, le triomphe final de l’aristocratie sur la monarchie. En John Wilkes s’incarne un beau matin l’esprit de résistance contre les abus de pouvoir de l’autorité royale ; il devient soudain le favori du peuple par cela seul qu’il déplaît au souverain. Il soutient ce rôle difficile avec persévérance des années durant, ce qui est rare. Ce qui est plus rare encore, il sait ne pas aller trop loin, et, son rôle achevé, il rentre en grâce auprès du roi, dont il avait été l’ennemi personnel en quelque sorte. C’est que cet audacieux pamphlétaire n’était après tout en politique qu’un whig de l’école des deux Pitt, rien de plus. Comme homme privé, si sa jeunesse fut orageuse, il eut toujours les goûts délicats d’un lettré et les bonnes façons d’un gentleman. Des historiens tels que lord Russell et lord Brougham l’ont peint comme un débauché, quoiqu’il n’eût peut-être que les défauts de son temps, qui n’était pas moral. Aujourd’hui M. Rae s’efforce de réhabiliter sa mémoire. Le rôle qu’il se donna vaut bien en somme la peine d’être raconté ; mais on ne jugera bien la conduite politique qu’il a tenue qu’en envisageant l’ensemble des circonstances au milieu desquelles il se produisit dans la vie publique.


I

Il est rare qu’un peuple, surtout lorsqu’il est jaloux de ses libertés, accueille avec sympathie une dynastie exotique. L’aristocratie anglaise, en qui se concentraient tous les pouvoirs au commencement du XVIIIe siècle, avait mis sur le trône l’électeur de Hanovre à la condition que ce monarque ne serait qu’un doge, un stathouder, un roi mérovingien, si l’on veut, avec un ministère auquel appartiendrait toute initiative sous le contrôle du parlement. George Ier et George II s’y étaient résignés. Nés en Allemagne l’un et l’autre, ne parlant que l’allemand, fidèles aux mœurs de leur pays natal, ils vécurent étrangers au pays qui les avait adoptés, plus soucieux des intérêts du Hanovre, qui était leur patrimoine, que des affaires de la Grande-Bretagne, dont ils abandonnaient la gestion à leurs ministres. Ils passaient des années entières en Allemagne sans que leurs sujets parussent s’apercevoir de ces absences. Déjà le fils de George II, Frédéric, prince de Galles, était tout autre ; mais, s’il avait reçu une éducation anglaise, il ne sut se rendre populaire, sa vie durant, qu’en faisant fête aux membres de l’opposition. Lorsqu’il mourut, les étudians d’Oxford et de Cambridge célébrèrent sa mémoire par une infinité de poèmes écrits