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peine aux derniers jours de la restauration, qui est devenu rapidement le genre le plus populaire, le roman se met à dérouler des aventures étranges ou il finit par se faire socialiste, et il cherche le succès, le plus souvent un succès équivoque, dans toutes les falsifications de la nature morale, de l’histoire, de l’art, de la langue et du goût.

Entre les premières nouvelles de Mérimée ou les premiers romans de George Sand et les Mystères de Paris, entre les Harmonies et l’Histoire des Girondins, entre le mouvement des esprits et des idées à la veille de 1830 et la marche des choses littéraires à la veille de 1848, mesurez la carrière parcourue : évidemment tout a changé, l’évolution, la « seconde phase » est accomplie. Je ne parle pas de ces esprits fidèles que Sainte-Beuve représentait comme un « corps de réserve et d’élite, rebelle à entamer, sensé, judicieux, fin, » toujours occupé à « lutter avec honneur sur les pentes dernières de la littérature, de la langue et du goût. » Ceux-là, critiques, érudits, historiens ou romanciers, poursuivent leur œuvre à travers toutes les mêlées et se retrouvent toujours le lendemain comme la veille pour maintenir une certaine tradition. Je ne parle pas non plus de ces apparences de réaction qui, aux dernières périodes du régime de juillet, se manifestent par l’illusion classique de Lucrèce et de la Ciguë, ou par le succès d’une jeune actrice de génie faisant revivre tout à coup devant un public émerveillé, ému, la vieille tragédie. Ce sont des symptômes isolés, accidentels, dans une situation livrée à un autre courant d’influences. La masse littéraire, à ce moment, est un composé d’ardeurs factices, de fanatismes sans conviction, d’épicuréisme presque brutal, de fécondité artificielle et banale, de crudités réalistes, d’indifférence morale. C’est la littérature compliquée, sceptique, violente ou frivole d’une société qui se laisse corrompre ou diffamer par une sorte de complicité imprévoyante, et cette altération de la vie intellectuelle que la révolution de 1830 n’a pas pu ou n’a pas su empêcher, qu’on n’a point assez surveillée, la révolution de 1848 la dévoile en s’accomplissant au bruit monotone d’un refrain patriotique du dernier drame d’Alexandre Dumas !

De toutes les crises contemporaines, la moins favorable aux lettres assurément est cette révolution de février, qui reste encore un des plus extraordinaires, un des plus humilians phénomènes d’étourderie factieuse, et qui n’est point étrangère aux événemens sous lesquels la France est courbée aujourd’hui. M. de Metternich l’appelait, dit-on, une « révolution littéraire ; » il la caractérisait ainsi sans doute parce qu’il croyait y voir la traduction des fantaisies agitatrices, des désordres de pensée et d’imagination qui l’avaient