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après huit ans d’absence, et après l’avoir vu pour la dernière fois sous sa tente sur le champ de bataille d’Uruguayana le soir d’une victoire gagnée en commun, qui avait délivré de l’ennemi une ville brésilienne. Ces souvenirs échangés, la présentation faite du personnel de la légation, l’empereur demanda au général s’il avait des nouvelles fraîches de la Plata, et s’il n’avait pas connaissance d’une récente invasion d’Indiens. Surpris de l’étrangeté de la question, le général Mitre répondit que le fait était vrai, que c’était là une des plaies des pays vastes et peu peuplés, et que, pour puissans et riches que fussent les États-Unis, ils n’en étaient pas délivrés encore ; mais, que la dernière malle avait apporté une nouvelle d’un plus haut intérêt, qui était l’inauguration du télégraphe transandin unissant le Pacifique à l’Atlantique. L’empereur ne resta pas sur cette réponse, et demanda de nouveau, ce qui pouvait passer pour une ironie, où en étaient les travaux du chemin de fer transandin, qui en réalité n’est depuis dix ans et ne sera longtemps encore qu’à l’état de projet. La conversation, après une réplique sans intérêt, s’arrêta là ; elle était caractéristique pour les esprits les moins prévenus, et ne pouvait être mise sur le compte de la distraction dans des circonstances aussi graves ; elle était plus étrange encore, étant données les relations antérieures de l’empereur avec le général Mitre ; tous deux en effet, comme chefs d’états alliés, avaient commencé ensemble à l’Uruguayana une guerre que le général Mitre continuait ensuite comme généralissime des armées brésilienne et argentine, les menant toutes deux à une victoire chèrement acquise ; la situation de l’empereur, monarque constitutionnel, lui interdisait, il est vrai, de manifester son opinion sur les incidens qui amenaient le général Mitre à Rio, mais le devoir que son titre lui imposait n’allait pas jusqu’à l’oubli de ces précédens et à une indifférence si marquée pour la personne de son interlocuteur.

Sortant du cérémonial pour entamer les pourparlers diplomatiques, le général Mitre ne devait pas rencontrer un meilleur accueil. Le gouvernement brésilien se refusa dès l’abord à entrer en négociation tant que celui de Buenos-Ayres n’aurait pas dans une nouvelle note effacé tout ce qu’avait de blessant et de provoquant celle du 27 avril. Il fallut trois mois pour obtenir de Buenos-Ayres une réponse satisfaisante qui rouvrait la porte aux tentatives de conciliation ; ce fut donc seulement au mois de septembre que furent entamées les négociations. Les instructions du général Mitre portaient la reconnaissance des traités Cotegipe, mais seulement en tant qu’ils étaient conformes aux bases antérieures, et à la condition que le gouvernement de Rio reconnaîtrait explicitement l’existence du traité de 1865 dans toutes les stipulations relatives à l’état