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productions, qui comprennent toutes les matières premières et tous les métaux nécessaires à l’industrie humaine, un empire disposant, pour transporter ces produits au dehors, de fleuves immenses et de 6,500 kilomètres de côtes marines, c’est là le rêve de grandeur qui préoccupait Jean VI, dépossédé par Napoléon Ier de sa couronne de Portugal, et réfugié dans cette colonie incomparablement plus grande, plus prospère que la métropole ; c’est là le rêve qui faisait dire à dom Pedro Ier qu’il perdrait sa couronne plutôt que d’abandonner la rive orientale de la Plata, fanfaronnade qui lui coûta cette possession en 1828 et sa couronne en 1831 ; c’est là le rêvé ambitieux, poursuivi par les Brésiliens jusqu’à ce jour, qui maintient permanentes des menaces de guerre et met en péril le commerce et l’avenir de ces pays.

On sait que la guerre du Paraguay devait aboutir à l’entrée des alliés à l’Assomption après quatre ans de sièges meurtriers ; l’ennemi disparu de cette capitale, il était loisible aux alliés d’établir un gouvernement provisoire formé de quelques exilés paraguayens restés étrangers à la guerre[1]. Ce gouvernement, constitué le 15 août 1869 par l’ennemi, acceptait d’avance les stipulations du traité de la triple alliance, et devenait définitif le 1er mai 1870, après la mort de Lopez. Jamais peut-être gouvernement n’avait été établi au milieu d’un néant plus absolu. L’Assomption n’était plus qu’une caserne brésilienne ; les habitans de cette ville, derniers survivans des combats meurtriers de quatre années de guerre, avaient été ramassés par Lopez, armés de force, chassés devant son armée, troupeau où se mêlaient hommes, femmes et enfans, pour mourir de morts aussi variées que terribles dans cette longue fuite de 300 lieues à travers le désert ; l’armée brésilienne, restée seule des trois armées alliées pour cette triste tâche, avait achevé les débris de ce peuple que les maladies et la faim épargnaient. A peine quelques femmes égarées, quelques hommes sans liens entre eux, des enfans ignorant jusqu’à leur nom, avaient-ils été recueillis dans ces plaines ; au milieu d’une destruction aussi complète d’un passé de trois siècles, au milieu d’un pays d’où tout élément de production avait disparu, que pouvait valoir un gouvernement constitué uniquement par les vainqueurs ? Que pouvait valoir un traité signé par un tel gouvernement ? Les alliés n’avaient pas prévu le cas ; l’imagination n’avait pu concevoir à l’origine de cette guerre ni une telle résistance, ni un tel écrasement, et par suite les divers articles du traité du 1er mai 1865 allaient créer des complications sans nombre. Ce qu’avaient produit les faits était ce que l’on aurait voulu à tout

  1. Voyez la Revue du 15 janvier 1873.