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et montre à son compère Gluck comment on manie un orchestre. « Si Dieu m’avait fait l’honneur de me consulter, aimait à répéter Alphonse X, roi de Castille et de Léon, bien des choses n’en iraient que mieux dans la création. » Ainsi raisonne ce personnage ; il se dit : A la place de Beethoven, moi, j’eusse fait cela, et sans autre forme de procès il distribue aux clarinettes la partie des hautbois, tranche, surcharge, ajoute et traite un pareil texte comme s’il s’agissait de la copie d’un écolier. J’avoue que, si j’étais de la paroisse, ces vacations quelque peu naïves d’un vieux professeur de rhétorique me gâteraient beaucoup mon saint ; corriger Beethoven, réorchestrer Gluck est en somme moins l’œuvre d’un grand esprit égaré que d’un Prudhomme. N’importe, dieu ou maniaque, cet Allemand, ce néo-Allemand aura prêché la vraie croisade des temps nouveaux. Il a trouvé dans le passé la solution du problème de l’avenir : il a découvert le récitatif !

Je ne plaisante pas ; remontons à l’an de grâce et de musique 1600. Les Florentins, mus par des raisons esthétiques absolument semblables aux nôtres, liquident leur ancien fonds de mélodie et de contre-point, et le remplacent par une déclamation uniquement préoccupée de rendre l’intonation du mot et de la syllabe, stile recitativo ou rappresentativo, comme on disait alors ; style ennuyeux, assommant, comme on dira toujours ! De cette creuse déclamation, le récitatif moderne est sorti avec ses formules sacramentelles, avec ses demandes et ses réponses, ses exclamations, ses tirades. Le drame lyrique a vécu deux siècles là-dessus ; pourquoi n’en vivrait-il pas deux et trois autres et même davantage ? Il faut souvent si peu de chose pour que le rococo d’hier devienne la mode du moment, et vice versa. Monteverde et son école introduisent l’élément pathétique dans la déclamation, et voilà le récitatif inventé. Ce récitatif à son tour passe d’usage, et nous le régénérons par la mélodie continue. Sempiternelle déclamation, que me veux-tu ? On me promet non pas un drame, mais le drame, on a soin de me prévenir que ce que je vais entendre, c’est de l’Eschyle et du Gluck, du Goethe et du Beethoven tout ensemble, et quand mon âme est bien préparée à l’émotion, quand elle compte sur des élans de joie et de douleur, sur l’accent de la passion et du sentiment, on lui donne, quoi ? des combinaisons harmoniques intéressantes, saisissantes, des effets de trompette et de trombone accompagnant un pathos formidable. Rien de cette forme organique, de cette clarté que les vieux maîtres savaient prêter à leur phrase. « Trouvez-moi donc des mélodies, disait Schumann, des mélodies bien neuves et bien franches. »

Cela vaudrait mieux en effet ; précepte excellent, mais difficile