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vulgariser des notions fausses sur les personnages et sur quelques scènes drastiques de la tragédie. Sa Marguerite-cocodette, son Faust-Elleviou, son Méphistophélès bonasse emboîtant le pas de l’orgue dans l’acte de l’église, on lui passerait tout, jusqu’à son gentil petit page Siebel, échappé de Jean de Paris, — n’était le dommage et le discrédit dont ce troubadourisme à tort et à travers vient affecter une conception idéalement belle qu’on aimerait voir mieux respectée. Edouard Devrient, aussi longtemps qu’il fut directeur de théâtre, s’interdit de monter l’ouvrage de M. Gounod parce que, jugeait-il, c’était aller à l’encontre de l’impression que le chef-d’œuvre de Goethe doit produire sur le public et fausser le sens du poème, auquel cette musique ne répond pas. C’est qu’en effet pour bien goûter cette partition et se pâmer d’aise à ces tendres langueurs d’Araminthe, il faudrait pouvoir oublier Faust, tâche assez difficile aux esprits amoureux du grand art, mais fort aisée à toute cette clientèle bourgeoise qui préfère au drame original les images sentimentales d’Ary Scheffer. « N’interromps pas les musiciens, dit le sage Sirach, tâche un peu de te taire lorsqu’ils chantent et garde ta science pour d’autres momens. — M’est avis, remarque spirituellement à ce sujet M. Ambros, qu’on pourrait tout au contraire s’écrier en retournant l’apologue : Par pitié, respecte le poète, et lorsqu’il a, comme dans Faust, des merveilles à nous réciter, ne musique pas au travers et garde ton contre-point pour une meilleure occasion[1]. »

L’art, comme la nature, a ses libres poussées, il aime à se développer à foison dans tous les sens ; à côté du laurier grandit le myrte : greffer, marier, combiner les deux arbustes pour n’en faire qu’un, la belle avance ! Comme s’il n’existait en ce monde que la musique de théâtre ! Et la musique de chambre, la raierons-nous de nos papiers ? Proscrirons-nous les sonates, les quatuors, les symphonies, toutes ces floraisons aimables ou puissantes d’une culture absolument spéciale ? .. De Dominico Scarlatti à Chopin, que de trésors ! mais c’est de la musique pour la musique, de l’art pour l’art ! Ce qu’un Sébastien Bach, un Haydn, un Mozart, pensent à leur clavier, mérite cependant d’être écouté. Une sonate de Beethoven n’a point de paroles ; cela l’empêche-t-il d’avoir sa

  1. Cette opinion, qui fut, on ne l’a peut-être pas oublié, la nôtre dès le premier jour, que nous avons reproduite à l’occasion de l’Hamlet de M. Thomas, a fait son chemin en Allemagne, et nous aimons à nous appuyer ici du sentiment de M. Ambros, homme de principes et non de parti, trop avisé d’ailleurs pour se laisser prendre aux pieds dorés d’une idole de bois peint. Ce qui vous charme chez cet écrivain, c’est sa parfaite indépendance, son élan à tout admirer de ce qui est beau, en même temps qu’à jeter bas ce qui ne l’est point et passe pour l’être ; personne n’a l’éclat de rire plus vibrant au nez du colosse Wagner, et ne montre plus de goût pour nos chefs-d’œuvre quand il s’agit des vrais.