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venir, à l’instar des béliers antiques, battre en brèche les temples sacrés des anciens maîtres. » J’emprunte ces lignes à l’un des esthéticiens les plus accrédités de l’Allemagne actuelle, M. A.-W. Ambros, et j’invoquerais au besoin son auxiliaire contre ces hommes de parti, toujours prêts à s’entre-dévorer au lieu de chercher dans la discussion un honnête et loyal modus vivendi, Ce qui se passe de nos jours dans le royaume de la musique ressemble fort à cet état des esprits dont parlait Goethe à l’occasion de ce qu’il appelait en son temps le « sans-culottisme littéraire. » On exalte un individu sur le pavois, on l’intronise à son de trompe : Io triumphe ! A son profit, tous les dieux sont renversés. Gluck et Mozart ne comptent plus que comme précurseurs. Un critique n’a-t-il pas remarqué naguère, à propos des opéras de Mozart, que cette musique « avait cependant encore sa valeur, et qu’il se pourrait bien faire qu’elle la conservât ? » Ne point absolument nier toute espèce de mérite à l’auteur de Don Juan, ô sublime condescendance ! « Ce pauvre Lamartine, Baudelaire le traite d’idiot ; mais je pense, moi, que c’est aller un peu trop loin ! » opinait jadis d’un air bénévole un rimailleur fort magnanime envers le poète des Méditations. Sentir et comprendre Mozart, goûter Lamartine, est une faculté qui n’appartient pas au premier venu ; il y a des gens qui préfèrent le Bernin à Phidias, et nous en connaissons qui trouvent Raphaël démodé et Michel-Ange « laid à faire peur. » La propagande va son train, laissons-la fournir sa carrière, elle s’agite, et ce n’est pas Dieu qui la mène : si c’était seulement le progrès, passe encore ; mais nous savons tous que ce progrès-là n’est qu’un mot ronflant, captieux,

Et qui, selon la main qui le tourne et l’applique,
Va projetant ses feux de lumière électrique,
Et vous fait dans l’histoire, en son jeu décevant,
Voir tout ce qui se voit dans un nuage au vent.

Avouons-nous une bonne fois que le progrès n’entre pour rien dans ce grand tapage, et que le mouvement auquel nous assistons ne nous représente en somme pas autre chose qu’une de ces réactions dont abonde l’histoire de la musique : in rebus humanis inest quidam circulus ? écrit l’historien romain ; nous disons, nous, c’est le serpent qui mord sa queue.


II

Cette union, cette indivisibilité absolues de la poésie et de la musique existent au début des choses, et la théorie actuelle ne servirait qu’à nous ramener au point de départ : in principio erant verbum et musica. Les psaumes de la primitive église, les hymnes,