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de ces natures trop essentiellement musicales pour ne pas se refuser à faire de larges concessions à l’économie théâtrale. M. Richard Wagner consent néanmoins à reconnaître que Mozart, tout musicien absolu qu’il fût, aurait pu résoudre le problème de l’« opéra moderne, seulement il eût fallu pour cela que le poète se rencontrât sur son chemin, ce qui naturellement n’arriva point, une telle fortune n’étant réservée qu’au grand chef de l’école de l’avenir, lequel imagina d’être à lui-même son poète, et peut, en nous vantant l’excellence de ses pièces, s’écrier comme ce personnage de Molière :

La meilleure raison est que j’en suis l’auteur.


Don Juan, cela va sans dire, n’est pas un poème d’opéra, et de ce que, dans une certaine scène au second acte des Noces de Figaro, Chérubin et Suzanne chantent un duo plus ou moins épisodique, il s’ensuit que l’homme qui a donné tant de merveilles musicales et dramatiques à la fois, l’auteur et le créateur de tous ces types impérissables à l’égal des figures de Shakspeare, Mozart, n’était au théâtre qu’un écolier. « Cette simple circonstance d’avoir introduit en pareil moment un morceau de musique ayant forme de duo suffirait pour démontrer l’inaptitude (pourquoi pas l’ineptie ?) de Mozart et son manque de droit à ce titre de messie dramatique dont ses aveugles admirateurs voudraient lui faire gloire[1]. »

Le messie ! nous savons d’avance de quel nom il s’appellera, patience donc et contentons-nous en l’attendant de vénérer ses prophètes. On connaît ces paroles de Gluck : « Je chercherai à réduire la musique à sa véritable fonction, celle de seconder la poésie pour fortifier l’expression des sentimens et l’intérêt des situations sans interrompre l’action et la refroidir par des ornemens superflus. » Tout bon réformateur apporte avec lui son manifeste. Quelqu’un disant devant Rousseau : Alceste est tombée, — Tombée du ciel, répliqua le philosophe. Une préface dûment libellée en belle prose autoritaire enveloppait l’aérolithe, et c’est aujourd’hui cette préface qui sert de programme aux confesseurs du nouveau dogme. Mozart s’abstient, lui, de toute espèce de littérature, il reste purement et simplement musicien, musicien sans phrases ni tendances doctrinaires, musicien absolu. Nature toute inspiration et lumière, il répugne aux polémiques, et sa voix divine semble dire en retournant le paragraphe : Non veni gladium mittere interram, sed pacem. C’est le saint Jean raphaelesque du tableau, tandis que Gluck, tempérament orageux et dur, nous représenterait plutôt cet apôtre qui s’appuie sur l’épée. Attiré, mis en goût par notre style et nos

  1. Franz Hüffer, The Music of the Future, p. 18.