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ne se lasse pas d’embrouiller. Chaque art a sa dose de vérité, comme il a sa dose de poésie ; mais les choses de la pensée ne se traitent point si grammaticalement. Il n’appartient qu’au seul génie d’en fixer les règles, et quand il a créé la langue, dicté les formes par des exemples immortels que les générations se transmettent avec admiration et qu’elles ne modifient qu’avec respect, quand il nous a montré comment on s’y prend pour atteindre au sublime, ce n’est point affaire aux rhétoriciens de nous venir prêcher le règne de la platitude.

Il fut un bienheureux temps où les musiciens composaient des chefs-d’œuvre sans se douter de ce qu’ils faisaient, où des Sébastien Bach, des Haydn, des Mozart, rapportaient naïvement à Dieu le mérite et la gloire de leurs inventions. C’était alors la période édénique de jeunesse et de candeur ; l’Eve musicale, n’ayant point encore touché au damné fruit de l’arbre de science, vivait tranquille et joyeuse dans son paradis. Elle en est sortie aujourd’hui pour jamais, et c’est cet infernal besoin de connaître qui l’en a chassée. « Tu enfanteras dans la douleur ! » Hélas ! c’est désormais dans la philosophie, dans la psychologie et l’ethnographie, dans l’histoire ancienne et moderne qu’elle enfante. Ses belles heures de soleil et d’inspiration se consument à creuser, — comme cet appariteur familier du vieux Faust qui, par je ne sais quelle ironie du destin, lui aussi, s’appelle Wagner, — à fouiller l’aride sol de la théorie, « heureuse quand, au lieu d’un trésor qu’elle cherche, elle a trouvé un ver de terre ! »

Le principe poétique de la musique est-il dans la musique même ou ne résulte-t-il pas seulement de l’union complète, absolue, de la musique avec les paroles ? Voilà le problème qui depuis tantôt quinze ans passionne tous les byzantins d’Allemagne, de France et d’Angleterre. Quelques-uns veulent que la musique soit un art indépendant, un art tirant de soi ses moyens d’expression, et dont une alliance trop étroite avec la parole ne peut que gêner les mouvemens. Le philosophe Arthur Schopenhauer va même jusqu’à recommander l’exemple de Rossini, qui, traitant les paroles sans conséquence, en use comme il en faut user, « car la musique parle si bien et si clairement sa propre langue qu’elle n’a nul besoin des mots, et que le simple orchestre lui suffit pour produire tous ses effets. » Vous pensez ce qu’une semblable hérésie doit soulever de tempêtes chez les bons orthodoxes. C’est alors qu’on les voit recourir au livre canonique et s’inspirer de l’Esprit-Saint. Les œuvres théoriques de M. Richard Wagner ne forment pas moins de neuf volumes. C’est le transcendantal dans l’absurde et dans la présomption. Politique, religion, histoire, économie sociale, toutes les questions sont traitées et ramenées imperturbablement vers un centre