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de concert avec les autres, se précipitent sur les importunes ! Ces dernières avaient l’avantage du nombre ; elles vinrent assiéger le nid. Les alliées, se sentant perdues, prirent la fuite, emmenant les esclaves, emportant larves et nymphes, traînant les ouvrières nouveau-nées ; elles allèrent s’installer à une distance respectable. Plusieurs fois, l’alliance a été consommée entre les bêtes ennemies, et souvent elle persista de longues années. Il est donc vrai, à la place de sentimens hostiles entre des êtres qui vivent séparés peuvent naître du rapprochement l’estime et même l’affection. Bien curieuse est la fourmilière mixte ; chaque espèce conservant sa manière de bâtir, elle présente un mélange d’architecture. Sur le dôme, on ne voit d’ordinaire que les fourmis des prés, apportant des matériaux ou se chauffant au soleil. Vient-on à les inquiéter ou à jeter près d’elles des bêtes inconnues, vite elles s’enfuient au fond du souterrain. Elles ont été chercher du secours. Soudain, comme par enchantement, apparaissent les fourmis sanguines ; si une lutte s’engage, les fourmis des prés ne s’y mêlent que les dernières.

Les ouvrières nouvellement écloses commencent par apprendre les travaux domestiques ; elles ne savent combattre et distinguer les amies des ennemies qu’après avoir été pendant un certain temps façonnées à l’existence. Il semblait donc possible de faire contracter des alliances à beaucoup d’espèces différentes, si l’on prenait soin de ne réunir que de très jeunes sujets. De l’expérience est venue la preuve. Dans une cage vitrée furent déposées des nymphes appartenant à six espèces distinctes, sous la garde de trois sortes de jeunes ouvrières n’ayant entre elles aucun lien de parenté. Les petites bêtes s’installèrent ensemble ; en commun, elles se mirent au travail, de la façon la plus tranquille ; l’éclosion de nouvelles fourmis était incessante ; les plus anciennes déchiraient les coques, aidaient à sortir les individus qui venaient à la lumière. On se trouva de la sorte en présence d’un peuple des plus bigarrés où régnait la concorde. En liberté, on ne réussit jamais à former de telles associations ; dans tous les cas, les fourmis firent un massacre des larves et des nymphes étrangères ; seules se réalisèrent des unions entre les fourmis sanguines et les fourmis des prés.

Plusieurs observateurs ont pris intérêt à l’étude des rapports de fourmis de même espèce appartenant à différentes colonies ; les uns ont déclaré que ces rapports étaient assez mauvais, les autres qu’ils étaient bons. Tout en effet dépend des circonstances. Lorsque deux partis passablement séparés sont établis dans des conditions satisfaisantes, ils se battent à outrance. Si deux fourmilières rapprochées se gênent, il y a lutte, les engagemens partiels se répètent ; mais en général, les forces venant à s’épuiser, aux conflits succède une alliance définitive. Deux nids ont une population faible,