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règne la paix ou la guerre. Parfois deux fourmilières sont en contact l’une avec l’autre, occupées soit par la même espèce, soit par des espèces différentes. Chaque nid a des entrées indépendantes ; il n’y a point de relations de voisinage entre ces demeures en apparence presque confondues. Dans les temps ordinaires, nulle hostilité n’éclate entre les deux colonies ; mais vient-on causer un trouble, tout aussitôt, comme furieuses, les fourmis se jettent sur les individus de l’habitation mitoyenne ; lorsque les forces sont inégales, le carnage est terrible. Il semble que les petites bêtes, attribuant à leurs voisines le bouleversement de leur nid, sont animées d’une soif de vengeance. Chose horrible à dire, le plus souvent les vainqueurs emportent les vaincus et les dévorent. Une telle conduite ne pourrait vraiment être louée que par les insulaires de l’Océan-Pacifique.

Personne n’observe attentivement les fourmis sans tomber en extase à la vue des soins qu’elles prodiguent aux larves et aux individus dont la mission est de perpétuer l’espèce, à la vue encore des ouvrages énormes qu’elles élèvent, du concert qui s’établit entre elles pour l’exécution des travaux, de l’ardeur, de la patience, du courage et de l’intelligence qu’elles déploient. Ces chétifs insectes donnent au degré suprême le spectacle de la puissance obtenue par l’union de tous les membres d’une société. Cependant, à côté des nobles qualités qui font l’honneur des peuples, les fourmis montrent une humeur farouche. Pour les colonies voisines, elles restent des brigands, car elles ne perdent guère l’occasion d’exercer le brigandage, qui est favorable aux intérêts matériels. Dans ce petit monde se renouvellent sans cesse les guerres de spoliation. Deux nids d’attes noires se trouvaient passablement rapprochés ; dans l’un, la population était considérable, dans l’autre assez faible. Les fourmis qui se sentaient en force n’avaient pas honte de livrer à tout moment des combats à la colonie moins nombreuse, dont les greniers avaient été déjà remplis. Par des attaques ainsi répétées, elles affaiblissaient la société dont elles convoitaient les biens. Dès l’instant qu’elles jugèrent ne plus devoir éprouver trop de résistance dans un assaut, elles envahirent le nid mal défendu et le mirent au pillage. Moggridge a vu la guerre allumée entre des attes noires durer pendant six semaines. Parfois les fourmis qui ont été dépouillées luttent pour reconquérir le bien perdu, et l’observateur qui suit avec intérêt ces combats ne peut s’empêcher de saisir la ressemblance avec les batailles engagées sur de plus vastes théâtres. Un jour, une colonne d’attes noires était en marche comme si elle allait aux champs faire la moisson. Soudain, elle rencontre une autre troupe qui revenait chargée de butin ; aussitôt les porteurs furent dévalisés. Dans les luttes, les fourmis s’efforcent de saisir