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et des mandibules robustes. A les voir, on devine qu’elles sont pleines d’énergie. Deux espèces sont particulièrement communes : l’atte noire[1] et l’atte maçonne[2], plus petite et d’un brun rougeâtre assez clair. Chez ces fourmis, il existe de singulières différences entre les ouvrières. Certains individus ont la tête de proportion- médiocre, d’autres la tête énorme avec des mandibules extrêmement puissantes. Plusieurs naturalistes ont présumé qu’il y avait deux sortes de neutres : les soldats et les ouvrières ; volontiers on supposait les soldats des mâles stériles. D’après les observations de Lespès, les forts comme les faibles exécutent les mêmes travaux et prennent également part aux combats ; enfin tous seraient des femelles stériles. De grandes fourmis des pays chauds présentent encore dans les signes extérieurs des dissemblances plus frappantes. Il est difficile de croire qu’un rôle spécial ne soit pas attribué à chaque catégorie d’ouvrières.

Que de fois n’a-t-il pas été question de la gracieuse fable de La Fontaine : la Cigale et la Fourmi ? A Ésope, le poète emprunta le sujet, et de confiance il présenta la fourmi comme un modèle de prévoyance. C’est que, par une tradition venue de loin, on ne doutait en aucune manière que le petit insecte ne prît soin d’emplir ses greniers en vue de la mauvaise saison. Cependant les investigateurs modernes, attachés à l’étude de nos espèces indigènes, n’hésitèrent pas à déclarer que les fourmis n’amassent point, qu’elles ne sauraient manger des substances dures comme la plupart des graines, enfin qu’elles n’ont nul besoin de provisions pour l’hiver, car elles s’engourdissent dès les premiers froids. Un poète en faute à l’égard des conditions de la vie des animaux, cela ne tire pas à conséquence ; il suffit d’avertir les gens crédules de ne pas le croire. Ainsi pensaient les naturalistes, très certains de l’exactitude des observations poursuivies sur nombre d’espèces de fourmis ; il semblait que la science eût prononcé le dernier mot. Tout à coup néanmoins un doute s’élève ; on a vu des fourmis qui recueillaient avec une ardeur extrême les semences de quelques plantes particulières, puis on se souvient que chez les peuples de l’Italie, de la Grèce, de l’Orient, la croyance aux fourmis qui ont des greniers est universelle. Claude Élien, le contemplateur des animaux pendant les jours heureux de l’empire romain, a tracé un séduisant tableau des fourmis qui vont aux champs faire la récolte ; d’autres auteurs ont parlé de cette habitude comme étant fort ordinaire ; enfin dans l’Inde, des curieux des choses de la nature ont remarqué encore des fourmis emportant des graines. Un trait de lumière commence

  1. Atta barbara.
  2. Atta structor.