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le soleil ne pas quitter un instant l’horizon. De ces jours sans fin de l’été, il ne faut pas conclure aux nuits éternelles de l’hiver, car, à cette époque de l’année, on a au moins trois ou quatre heures de jour en Islande, indépendamment des aurores boréales, alors presque incessantes, et dont la blanche clarté peut rivaliser d’intensité, sinon d’éclat, avec celle du soleil.

Dès mon arrivée à Patrix-Fiord, je pus me rendre compte de l’utilité de la présence d’un bâtiment de l’état dans les baies de l’Islande. J’avais été chargé de visiter un lougre dont le capitaine avait fait constater l’état d’innavigabilité. L’avarie était en effet très grave en ce sens qu’il s’agissait d’une pièce de construction facile à remplacer, mais essentielle. Le rapport des premiers experts concluait très justement à la nécessité d’une réparation impossible à faire, vu le manque de ressources de la localité, et par suite à la condamnation. L’arrivée du bâtiment de l’état, qui pouvait disposer des ouvriers et des matériaux nécessaires, changea si bien la face des choses que trente-six heures après le rapport de la seconde expertise le lougre était complètement remis en état. Par contre, un autre navire dont la coque était excellente, mais dont le pont et la mâture pourris ne purent être remplacés, fut condamné et adjugé aux enchères au prix de 109 francs.

Au moment où j’arrivai à terre pour procéder à l’examen de ces navires, une averse m’obligea de me réfugier, en attendant les experts qu’on m’avait adjoints, dans une maison située sur la pi âge, à côté de l’habitation du marchand danois. J’y fus reçu aussi cordialement que possible par trois femmes, l’aïeule, la mère et la fille. Cette dernière est presque une compatriote, car elle a pour père un pêcheur français venu à Patrix-Fiord il y a une quinzaine d’années. Très épris de la mère, il abandonna son navire pour passer l’hiver auprès d’elle, repartit l’année suivante, et se garda d’autant mieux de revenir qu’il se maria en France. La Calypso islandaise n’a pas l’air de regretter outre mesure le départ de son Ulysse. Quant à la fille, elle flatte par sa beauté l’amour-propre national des marins français, avec lesquels elle vit, ainsi que sa mère, en très bons termes d’amitié. Pendant le séjour de la flottille de pêche, la maison se transforme en cabaret qui ne désemplit pas. Les travaux de réparation n’occupant que les ouvriers du bâtiment de l’état, la plupart des pêcheurs peuvent disposer de leur temps comme bon leur semble. A défaut d’argent, ils échangent contre un peu d’eau-de-vie les galettes de biscuit de leur ration, et, quand cette ressource leur manque, ils s’en consolent en fumant philosophiquement leur pipe devant le poêle de fonte.

L’accueil cordial que j’avais trouvé chez la jeune