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réussir à conserver. Cet animal est, de la part de nos pêcheurs, l’objet de la plus vive aversion ; comme il est beaucoup plus gros que la morue et atteint souvent un poids de 40 à 50 kilogrammes, il est très pénible à remonter à bord, si tant est qu’il n’ait pas cassé la ligne et emporté l’hameçon auquel il s’était pris.

La pêche ne cesse que lorsque la force du vent et de la mer imprime au navire une vitesse de dérive telle que les lignes n’ont plus le temps d’arriver au fond et remontent presqu’à la surface. Jusque-là les pêcheurs restent à leur poste, souvent, hélas ! plus que ne le comporterait la prudence. Les variations de temps se produisent dans ces parages d’une façon très brusque : en moins de deux heures, un ouragan se forme, qui succède au calme le plus plat. Si la morue donne, le navire attend jusqu’au dernier moment pour remettre sous voiles et essayer de gagner le large. S’il est alors trop rapproché de la côte, s’il lui faut doubler une pointe contre laquelle le poussent le vent, le courant et la mer, sa perte ou son salut dépend d’une simple avarie. Quelques voiles déchirées, un mât tombé, une vergue cassée, ne lui permettront plus de conserver la vitesse nécessaire à ses évolutions, et les lames le jetteront sur la côte ou sur les brisans. C’est presque toujours dans ces conditions qu’ont lieu les nombreux sinistres qui se produisent chaque année dans la flottille de pêche, sans que d’aussi tristes précédens réussissent à rendre les capitaines et les équipages moins téméraires. Si au contraire le navire est à bonne distance de la terre, ou si le vent l’en éloigne, tout le monde dort à bord en attendant le retour du beau temps. Le danger pour les marins sur un bâtiment solide et en bon état n’est en effet ni dans la force du vent, ni dans celle de la mer, il est dans le voisinage de la côte. Lorsqu’il a le champ libre devant lui, lorsque aucune terre, aucun récif ne s’élève dans la direction où l’emporte l’ouragan, il peut, comme le pilote de Shakspeare, crier à la tempête : « Souffle jusqu’à ce que tu crèves, ô vent, si l’espace est suffisant ! »

Pour leur costume, les pêcheurs sont absolument indifférens à tout ce qui pourrait rappeler, je ne dirai pas l’élégance, mais la propreté la plus élémentaire. Être vêtus chaudement et de façon à se mouiller le moins possible, telle est leur unique préoccupation. Aussi n’essaierai-je pas de décrire ces costumes hétéroclites, faits de pièces et de morceaux disparates, assortis au gré du hasard, goudronnés, graisseux, formant un ensemble déguenillé et minable tel que n’en reproduisit jamais le crayon de Callot. Tous sont couverts, de la tête aux pieds, de tricots et de caleçons de laine ou de flanelle, par-dessus lesquels se portent le pantalon, la vareuse de gros drap et la capote imperméable de toile cirée. Un jupon de