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Emmi refusa d’abord. C’était de l’argent volé qui lui répugnait ; mais le père Vincent offrit à la Catiche de s’en charger pour le lui rendre à sa première réclamation, ou pour le placer au nom d’Emmi, si elle venait à mourir sans le réclamer. Le père Vincent était connu dans tout le pays pour un homme juste qui avait honnêtement amassé du bien, et la Catiche, qui rôdait partout et entendait tout, n’était pas sans savoir qu’on devait se fier à lui. Elle le pria de bien fermer les huisseries de sa cabane, puis de reculer sa chaise, car elle ne pouvait se mouvoir, et de soulever la pierre du foyer. Il y avait bien plus qu’elle n’avait montré la première fois à Emmi. Il y avait cinq bourses de peau et environ cinq mille francs en or. Elle ne voulut garder que trois cents francs en argent pour payer les soins de ses voisins et se faire enterrer.

Et comme Emmi regardait ce trésor avec dédain : — Tu sauras plus tard, lui dit la Catiche, que la misère est un méchant mal. Si je n’étais pas née dans ce mal, je n’aurais pas fait ce que j’ai fait.

— Si vous vous en repentez, lui dit le père Vincent, Dieu vous le pardonnera.

— Je m’en repens, répondit-elle, depuis que je suis paralytique, parce que je meurs dans l’ennui et la solitude. Mes voisins me déplaisent autant que je leur déplais. Je pense à cette heure que j’aurais mieux fait de vivre autrement.

Emmi lui promit de revenir la voir et suivit le père Vincent dans son nouveau travail, il regretta bien un peu sa forêt de Cernas, mais il avait l’idée du devoir et fit le sien fidèlement. Au bout de huit jours, il retourna voir la Catiche. Il arriva comme on emportait sa bière sur une petite charrette traînée par un âne. Emmi la suivit jusqu’à la paroisse, qui était distante d’un quart de lieue, et assista à son enterrement. Au retour, il vit que tout chez elle était au pillage et qu’on se battait à qui aurait ses nippes. Il ne se repentit plus d’avoir soustrait à ces mauvaises gens le trésor de la vieille.

Quand il fut de retour à la coupe, le père Vincent lui dit : — Tu es trop jeune pour avoir cet argent-là. Tu n’en saurais pas tirer parti, ou tu te le laisserais voler. Si tu m’agrées pour tuteur, je le placerai pour le mieux, et je t’en servirai la rente jusqu’à ta majorité.

— Faites-en ce qui vous plaira, répondit Emmi ; je m’en rapporte à vous. Pourtant, si c’est de l’argent volé, comme la vieille s’en vantait, ne vaudrait-il pas mieux essayer de le rendre ?

— Le rendre à qui ? Ç’a été volé sou par sou, puisque cette femme obtenait la charité en trompant le monde et en chipant de ci et de là, on ne sait à qui, des choses que nous ne savons pas et que personne ne songe plus à réclamer. L’argent n’est pas coupable , la honte est pour ceux qui en font mauvais emploi. La Catiche était