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les entendait tomber des branches avec un bruit frais et léger, comme si en touchant la nappe neigeuse du sol elles eussent pris un souple élan pour s’envoler ailleurs.

Quand la glace emprisonnait le petit ruisseau, il la cassait pour boire, mais avec précaution pour ne pas abîmer l’édifice de cristal que formait sa petite chute. Il aimait à regarder le long des chemins de la forêt les girandoles du givre et les stalactites irisées par le soleil levant.

Il y avait des soirs où l’architecture transparente des arbres privés de feuilles se dessinait en dentelle noire sur le ciel rouge ou sur le fond nacré des nuages éclairés par la lune. Et l’été, quelles chaudes rumeurs, quels concerts d’oiseaux sous le feuillage ! Il faisait la guerre aux rongeurs et aux fureteurs friands des œufs ou des petits dans les nids. Il s’était fabriqué un arc et des flèches et s’était rendu très adroit à tuer les rats et les vipères. Il épargnait les belles couleuvres inoffensives qui serpentent avec tant de grâce sur la mousse, et les charmans écureuils, qui ne vivent que des amandes du pin, si adroitement extraites par eux de leur cône.

Il avait si bien protégé les nombreux habitans de son vieux chêne que tous le connaissaient et le laissaient circuler au milieu d’eux. Il s’imaginait comprendre le rossignol le remerciant d’avoir sauvé sa nichée et disant tout exprès pour lui ses beaux airs. Il ne permettait pas aux fourmis de s’établir dans son voisinage ; mais il laissait le pivert travailler dans le bois pour en retirer les insectes rongeurs qui le détériorent. Il chassait les chenilles du feuillage. Les hannetons voraces ne trouvaient pas grâce devant lui. Tous les dimanches, il faisait à son cher arbre une toilette complète, et en vérité jamais le chêne ne s’était si bien porté et n’avait étalé une si riche et si fraîche verdure. Emmi ramassait les glands les plus sains et allait les semer sur la lande voisine, oîi il soignait leur première enfance en empêchant la bruyère et la cuscute de les étouffer.

Il avait pris les lièvres en amitié et n’en voulait plus détruire pour sa nourriture. De son arbre, il les voyait danser sur le serpolet, se coucher sur le flanc connne des chiens fatigués, et tout à coup, au bruit d’une feuille sèche qui se détache, bondir avec une grâce comique, et s’arrêter court, comme pour réfléchir après avoir cédé à la peur. Si, en se promenant par les chaudes journées, il sentait le besoin de faire une sieste, il grimpait dans le premier arbre venu, et, choisissant son gîte, il entendait les ramiers le bercer de leurs grasseyemens monotones et caressans ; mais il était délicat pour son coucher et ne dormait tout à fait bien que dans son chêne.

Il fallut pourtant quitter cette chère forêt quand la coupe fut