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dès la veille. Cela consistait en perches placées en pignon avec leurs branchages, et recouvertes de grandes plaques de mousse et de gazon. Emmi fut présenté aux ouvriers et bien accueilli. Il mangea la soupe bien chaude et dormit de tout sou cœur.

Le lendemain, il fit son apprentissage : allumer le feu, faire la cuisine, laver les pots, aller chercher l’eau, et le reste du temps aider à la construction de nouvelles cabanes pour les vingt autres bûcherons qu’on attendait. Le père Vincent, qui commandait et surveillait tout, fut éaierveillé de l’intelligence, de l’adresse et de la promptitude d’Emmi. Ce n’est pas lui qui apprenait à tout faire avec rien ; c’est Iul qai l’apprenait aux plus malins, et tous s’écrièrent que ce n’était pas un gars, mais un esprit follet que les bons diables de la forêt avaient mis à leur service. Comme, avec tous ses talens et industries, Emmi était obéissant et modeste, il fut pris en amitié, et les plus rudes de ces bûcherons lui parlèrent avec douceur et lui commandèrent avec discrétion.

Au bout de cinq jours, Emmi demanda au père Vincent s’il était libre d’aller faire son dimanche où bon lui semblerait.

— Tu es libre, lui répondit le brave homme ; mais, si tu veux m’en croire, tu iras revoir ta tante et les gens de ton village. S’il est vrai que ta tante ne se soucie pas de te reprendre, elle sera contente de te savoir en position de gagner ta vie sans qu’elle s’en mêle, et, si tu penses qu’on te battra à la ferme pour avoir quitté ton troupeau, j’irai avec toi pour apaiser les gens et te protéger. Sois sûr, mon enfant, que le travail est le meilleur des passeports et qu’il purifie de tout.

Emmi le remercia du bon conseil et le suivit. Sa tante, qui le croyait mort, eut peur en le voyant ; mais, sans lui raconter ses aventures, Emmi lui fit savoir qu’il travaillait avec les bûcherons et qu’il ne serait plus jamais à sa charge. Le père Vincent confirma son dire, et déclara qu’il regardait l’enfant comme sien et en faisait grande estime. Il parla de même à la ferme, où on les obligea de boire et de manger. La grand’Nannette y vint pour embrasser Emmi devant le monde et faire la bonne âme en lui apportant quelques bardes et une demi-douzaine de fromages. Bref, Emmi s’en revint avec le vieux bûcheron, réconcilié avec tout le monde, dégagé de tout blâme et de tout reproche.

Quand ils eurent traversé la lande, Emmi dit à Vincent : — Ne m’en voudrez-vous point si je vais passer la nuit dans mou chêne ? Je vous promets d’être à la taille des buttes avant soleil levé.

— Fais comme tu veux, répondit le bûcheron ; c’est donc une idée que tu as comme ça de percher ?

Emmi lui fit comprendre qu’il avait pour ce chêne une amitié

TOME XI. — 1875. 47