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se faire guérir à une fontaine miraculeuse. Tous étaient estropiés ou couverts de plaies hideuses. Tous sortaient de la fontaine sains et allègres. Le miracle n’était pas difficile à expliquer, tous leurs maux étant simulés et les reprenant au bout de quelques semaines, pour être guéris le jour de la fête suivante.

Emmi vendit ses œufs et ses poules, en reporta vite l’argent à la vieille, et, lui tournant le dos, s’en fut à travers la foule, les yeux écarqnillés, admirant tout et s’étonnant de tout. Il vit des saltimbanques faire des tours surprenans, et il s’était même un peu attardé à contempler leurs maillots pailletés et leurs bandeaux dorés, lorsqu’il entendit à côté de lui un singulier dialogue. C’était la voix de la Catiche, qui s’entretenait avec la voix rauque du chef des saltimbanques. Ils n’étaient séparés de lui que par la toile de la baraque. Si vous voulez lui faire boire du vin, disait la Catiche, vous lui persuaderez tout ce que vous voudrez. C’est un petit innocent qui ne peut me servir à rien et qui prétend vivre tout seul dans la forêt, où il perche depuis un an dans un vieux arbre. Il est aussi leste et aussi adroit qu’un singe, il ne pèse pas plus qu’un chevreau, et vous lui ferez faire les tours les plus difficiles.

— Et vous dites qu’il n’est pas intéressé ? reprit le saltimbanque.

— Non, il ne se soucie pas de l’argent. Vous le nourrirez, et il n’aura pas l’esprit d’en demander davantage.

— Mais il voudra se sauver ?  ;

— Bah ! avec des coups’vous lui en ferez passer l’envie.

— Allez le chercher, je veux le voir.

— Et vous me donnerez vingt francs ?

— Oui, s’il me convient.

La Catiche sortit de la baraque et se trouva face à face avec Emmi, à qui elle fit signe de la suivre.

— Non pas, lui dit-il, j’ai entendu votre marché. Je ne suis pas si innocent que vous croyez. Je ne veux pas aller avec ces gens-là pour être battu.

— Tu y viendras pourtant, répondit la Gatiche en lui prenant le poignet avec une main de fer et en l’attirant vers la baraque.

— Je ne veux pas, je ne veux pas ! cria l’enfant en se débattant et en s’accrochanî de la main restée libre à la blouse d’un homme qui était près de lui et qui regardait le spectacle. — L’homme se retourna, et, s’adressant à la Catiche, il lui demanda si ce petit était à elle.

— Non, non, s’écria Emmi, elle n’est pas ma mère, elle ne m’est rien, elle veut me vendre pour un louis d’or à ces comédiens.

— Et toi, tu ne veux pas ?

— Non, je ne veux pas ! sauvez-moi de ses griffes. Voyez ! elle me met en sang.