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comme il avait envie de voir du pays et de connaître les endroits où on peut gagner sa vie honnêtement, il répondit sans montrer de colère : — Je ne saurais pas voler, je n’ai jamais appris.

— Tu mens, reprit Catiche, tu voles très habilement à la forêt de Cernas son gibier et ses fruits. Crois-tu donc que ces choses-là n’appartiennent à personne ? Ne sais-tu pas que celui qui ne travaille pas ne peut vivre qu’aux dépens d’autrui ? Il y a longtemps que cette forêt est quasi abandonnée. Le propriétaire était un vieux riche qui ne s’occupait plus de rien et ne la faisait pas seulement garder. À présent qu’il est mort, tout ça va changer et tu auras beau le cacher comme un rat dans des trous d’arbre, on te mettra la main au collet et on te conduira en prison.

— Eh bien ! alors, reprit Emmi, pourquoi voulez-vous m’enseigner à voler pour vous ?

— Parce que, quand on sait, on n’est jamais pris. Tu réfléchiras, il se fait tard, et il faut nous lever demain avec le jour pour aller à la foire. Je vais l’arranger un lit sur mon coffre, un bon lit avec une couette et une couverture. Pour la première fois de ta vie, tu dormiras comme un prince.

Emmi n’osa résister. Quand la vieille Catiche ne faisait plus l’idiote, elle avait quelque chose d’effrayant dans le regard et dans la voix. Il se coucha et s’étonna d’abord de se trouver si bien ; mais au bout d’un instant il s’étonna de se trouver si mal. Ce gros coussin de plume l’étouffait, la couverture, le manque d’air libre, la mauvaise odeur de ia cuisine et le vin qu’il avait bu, lui donnaient la fièvre. Il se leva tout effaré en disant qu’il voulait dormir dehors, et qu’il mourrait s’il lui fallait passer la nuit enfermé.

La Catiche ronflait, et la porte était barricadée. Emmi se résigna à dormir étendu sur ia table, regrettant fort son lit de mousse dans le chêne.

Le lendemain, la Catiche lui confia un panier d’œufs et six poules à vendre, en lui ordonnant de la suivre à distance et de n’avoir pas l’air de la connaître. — Si on savait que je vends, lui dit-elle, on ne me donnerait plus rien ; — elle lui fixa le prix qu’il devait atteindre avant de livrer sa marchandise, tout en ajoutant qu’elle ne le perdrait pas de vue, et que, s’il ne lui rapportait pas fidèlement l’argent, elle saurait bien le forcer à le lui rendre.

— Si vous vous défiez de moi, répondit Emmi offensé, portez votre marchandise vous-même et laissez-moi m’en aller.

— N’essaie pas de fuir, dit la vieille, je saurai te retrouver n’importe où, ne réplique pas et obéis.

Il la suivit à distance comme elle l’exigeait, et vit bientôt le chemin couvert de mendians plus affreux les uns que les autres. C’étaient les habitans d’Oursines qui, ce jour-là, allaient tous ensemble